Le monde musulman deviendra-t-il communiste ?

Le drame de l'Islam et notre vocation de chrétiens

 Tel est le fruit mûr pour la colonisation soviétique. Existe-t-il une autre issue ? Je n'en vois pas sans un renouveau de l'Islam. Sa décadence post-almohadienne, son juridisme malékite le tue. Ses réformes l'égarent, soit qu'elles le mènent vers un puritanisme desséché, soit qu'elle cherchent moins à le régénérer qu'à le « tirer d'un embarras politique actuel »88. Pas d'issue sans une restauration de l'homme dans l'Islam, sans un retour aux sources d'amour taries par le Califat Abasside. Sans ce double effort l'Islam, par une révolution spirituelle donc absolue, virera au communisme. Sous la pression de croyances exsangues, de croyances mortes c'est-à-dire réduites au rôle d'un fétichisme, les masses suivront. Et la colonisabilité matérielle et morale appellera la colonisation soviétique. Sans une conversion spirituelle, c'est inéluctable.

Nous n'y pouvons rien, que prier Dieu pour le retour de notre frère Ismaël. Mais nous avons le devoir de lui préparer les voies. On pourrait croire que l'Islam sera sauvé par le mieux être économique et les grands travaux qui l'assureront. Singulière illusion quand c'est la bourgeoisie musulmane qui se communise, surtout quand aucun effort réel n'a été tenté par ce mieux être. Le point IV avec tout son tintamarre onusien n'a été qu'un faux semblant. Pourtant si un effort économique ne peut dénouer un drame spirituel, du moins serait-ce déjà beaucoup que lutter contre la colonisabilité matérielle du Moyen-Orient. Ce serait un premier devoir de l'Occident qu'y contribuer et y contribuer sans arrière-pensées politiques : ces arrière-pensées suffiraient à ôter toute efficacité morale à l'effort entrepris.

Pour le salut de ce monde musulman, il importe que nous le comprenions. Nous y avons, chrétiens, une vocation spéciale : vocation de charité, sans doute ; vocation fraternelle : l'Islam, s'il n'est pas vraiment biblique, est abrahamique, nous le savons (nous sommes, lui et nous fils de ce père à la postérité plus nombreuse que les étoiles et que le sable de la mer) ; mais aussi vocation plus immédiate de sémites spirituels et intellectuels. La Bible nous a enseigné cette logique orientale qui n'est pas la logique des Grecs et des cartésiens : le raisonnement nous est donc plus qu'aux autres occidentaux perméable. La religion qui nous a formés connaît comme l'Orient la logique du témoignage89. La logique de notre foi n'est pas élucidation comme la logique grecque, mais celle même de l'Orient. Ainsi, enfants des Paraboles, avons-nous une aptitude particulière à entendre les musulmans. Triple vocation à laquelle, reconnaissons-le, nous avons été bien infidèles.

Enfin s'impose un effort sur nous-mêmes. L'Islam ne perd la foi que par notre propre manque de foi. Tout ce qui se dégrade dans le monde s'est d'abord dégradé dans nos cœurs. Si notre civilisation n'avait pas sombré dans un matérialisme au moins apparent, si le christianisme qui l'anime malgré tout et lui prête souvent son nom était resté lui-même et visible, l'Islam n'aurait pas perdu sa foi et il aurait peut-être trouvé la nôtre. Mais avec l'Esprit Saint, ce n'est jamais trop tard. Il ne connaît pas de vingt-cinquième heure. Le processus inverse à celui de la dégradation est toujours possible et l'enclencher dépend de nous.


88 Malek Bennabi, op. cit., p. 64.

89 R.P. Daniélou, Dieu et nous, chapitre sur Le Dieu de la foi.