Sous le signe de l'Islam, le Moyen-Orient trouvera-t-il son unité ?

Une impossibilité séculaire

 

Nous l'avons dit : l'Islam, depuis son premier siècle, a connu la nostalgie d'une unité temporelle qu'il n'a jamais atteinte. Ne parlons même pas de l'Afrique noire1, mais de cet Islam qu'on appelle généralement « arabe ». « Les populations riveraines de la Méditerranée, écrivait naguère le Général Keller2, ont toujours été attirées par l'Occident, tandis que les riveraines du désert l'étaient vers l'Asie. Et c'est le drame de la Syrie, en appliquant ce vocable à l'ensemble du pays ». Cette contradiction géographique n'a jamais cessé de s'exprimer à travers l'histoire. Même le fameux Empire arabe du XIe siècle n'a été qu'une glorieuse façade. Il n'avait aucune unité, et ses parties n'étaient pas plus liées que ne le sont désormais entre eux les dominions du Commonwealth, voire même les États membres des Nations Unies ! L'autorité du Khalife sur les vice-rois totalement indépendants était théorique. Chaque pays gardait au sein de l'Empire son caractère propre. Cet Empire « est persan » à Bagdad, syrien à Damas, égyptien au Caire, berbère à Kairouan et à Fez, hispano-berbère à Cordoue.  La cause de cette diversité est que, si les arabes ont fourni ses chefs à la conquête, celle-ci a toujours été faite avec une priorité de contingents étrangers levés dans les pays précédemment conquis. L'organisation des pays occupés, qui tous étaient des pays de vieille civilisation, consistait pour les Arabes à y installer un gouverneur militaire, des garnisons et quelques fonctionnaires, les cadres de l'administration locale restant en place3. Cette cause n'était pas la seule : tout ce qui concourt à faire l'Histoire a contribué à empêcher l'unité arabe. Nous avons déjà vu le rôle joué par l'attraction géographique. Les lois de transmission du pouvoir, si mal réglées dans l'Islam et d'où sont nés les principaux schismes, y ont contribué. Elles furent pour tous les États orientaux un facteur de faiblesse d'autant plus redoutable qu'ils étaient plus vastes, et on comprend les efforts des souverains musulmans contemporains, tels le Sultan du Maroc et le Bey de Tunis, pour introduire dans leur pays ce principe de la succession de mâle en mâle par ordre de primogéniture qui fit jadis la fortune des Capétiens et l'unité de la France. Mais les causes psychologiques sont peut-être encore plus frappantes, et d'abord cette impossibilité islamique d'arriver au concept, ce caractère « atomistique » si bien étudiés par Gibb, après Mac Donald. « La mentalité arabe, qu'elle touche au monde extérieur ou aux opérations de la pensée ne peut se libérer de son penchant invincible à envisager les événements concrets séparément et individuellement. »4. Islam et philosophie de l'Histoire, Islam et sens de la continuité de l'Histoire sont des expressions étrangères entre elles, et avec ce sens de l'Histoire a toujours manqué un des grands catalyseurs, sinon moteurs, de l'unité.

 


1 Voir Les limites de l'Islam Africain, par Paul Azam « L'Afrique et L'Asie », 1948 1er trimestre

2 Général Keller, Les problèmes du Moyen-Orient, Revue de la Défense nationale, janvier 1951

3 Keller, La Question Arabe, p. 12, Presses Universitaires de France

4 Gibb, Les Tendances modernes de l'Islam