Littérature

Jean Cocteau ou l'enchanteur pourrissant

Forces nouvelles 22/10/1955

 

« L'enchanteur pourrissant », le titre est d'Appollinaire : pourtant ne définit-il pas M. Cocteau, un adolescent sexagénaire sur qui la Jézabel académique compte pour réparer des ans l'irréparable outrage ?  Voulant rajeunir la vieille dame du pont des Arts donne dans le 1920. je ne désespère pas de voir bientôt sous la Coupole un mobilier de sycomore blanc avec tapisserie « fraise écrasée ».

Ce sera un bel événement que la réception de M. Cocteau. On y retrouvera tout le public qui, dans cette atmosphère d'austérité goûtée par M. Mauriac, fêta avec force champagne et fruits déguisés le départ quotidien de l'Express. La même bourgeoisie y célébrera ses fastes. Opiomane à ses jours, dévot à d'autres, M. Cocteau jouera à lui faire peur. Accueillir un écrivain à l'avant-garde d'il y a quarante ans, quelle ivresse !

Et puis l'enfant terrible rassure quand même. Jadis il s'était converti, non sans fracas, bien entendu. Mais depuis il a commis contre l’Église une pièce dans le meilleur style des couvents de sous-préfecture. N'appelle-t-il pas cette Église qui l'a accueillit : « La femme-tronc » ? Comme c'est fin !

Lors de sa jeunesse, M. Cocteau écrivait selon ce mode :

Un combat de pigeons glacés en pleine figure

Offerte aux gifles des drapeaux

le gel qui gante

aquarium océanique

Aujourd'hui il mirlitonne dans la manière des floralies provinciales. Voyez plutôt ce que nous propose son dernier recueil : « clair-Obscur » :

Il était naturel qu'à mon secours j'allasse

Puisque vos bras furent trop courts

       Puisque vos pieds restaient enracinés sur place

Lorsque j'appelais au secours.

Trissotin aussi appelait « au secours ! «  Mais poursuivons notre lecture :

       Des victoires d'un jour tourne vite la roue

L'une en s'allumant l'autre éteint.

C'est donc bien vrai : M. Cocteau était mûr pour l'Académie. Et ne l'en sauvera pas ce qui lui vaut son titre d'enchanteur, même pourrissant : je ne sais quel charme d'enfance, une fantaisie de sylphe, la trace fugitive de ce qui fut un sourire innocent. Mais ce bref éclat d'un paradis perdu, le public pressé sous la Coupole pour applaudir à la parfaite réussite de sa décadence le percevra-t-il ?

Quant à M. Mauriac, notera-t-il sur son bloc-note, ce qu'il n'a pas noté pour la fête nocturne de l'Express : Jam Foetet ?