Fragments

 

Îles, pourpres d'azur aux treilles de la mer.

 

J'ai vu, sous le feuillage argenté des vagues, tes fruits mûrir, Océan ! Les îles duveteuses et leurs golfes épanouis.

Prémices furent les oiseaux, précurseurs de jardins et de palmeraies. Autour des mats et vers la poupe ils s'éparpillent.

 

Et les parfums avant coureurs ! L'odeur  d'Ilang. Nappes épaisses de son arôme au creux des larmes, senteur de vanille et d'épices.

Puis dans mon cœur une vigie a crié « Terre !». éclosent de l'horizon les archipels,

 

Un soir dans l'entassement tropical des cumulus, et quand éclate en théophanie la pompe sombre du couchant, leur trait bleu.

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L'émail des eaux couleur d'élytres et de scarabées

Les coraux composent des bouquets de neige où glissent des poissons ailés.

 

Et dévalent jusqu'à la crique, plis ourlés de mauve, les montagnes. Que d'azur ! Le ciel a noyé ses bords. En cascades il gagne les rades. Larves des zénith, paillettes d'or au firmament des surfaces.

 

Îles, O fraîches nées, cimes aux nuit des mers, exaltées de leur solitude ; gabares dérivant sur les plans du silence, glissant aux rivages orangés du levant dans la pentecôte du soleil..

 

Mais sur vous-mêmes repliées, roses secrètes, calices enclos de lumière. Îles vêtues de vent.

 

Îles vivantes aussi. Ah ! Quand autour de vous se disséminent les voiles, leur floraison blanche et bleue et le lourd gréement des boutres pour le haschisch et les tissus. Une mer enivrée vous cerne.

 

Tout ce bonheur, je l'ai connu ! Les calanques où crient les perruches grises, leurs  bassins calmes enclos de plages. Sommeil des eaux cernées d'azur.

 

J'ai erré pénétré de brises, chargé d'effluves, dilaté à la mesure des marées, embu d'iode, lèvres salées de votre sel, frère des rocs aux cheveux d'algues et de lianes.

 

Votre vent surtout, quand il gonfle foc et misaine. Il s'insinue au long de ma peau. Il me prolonge. Je m'étire à l'ampleur de tous les souffles du monde.

 

Et les soirs apaisés. J'ai connu la joie des champs de jasmin si lourds d'odeur qu'on en défaille. La nuit, la Croix du Sud s'accroche aux cimes ! Nuits fourmillantes des tropiques si chargées d'astres ! Enserrées d'étoiles  … dérives dans la spirale des galaxies.

Tant de bonheur ! Ma bouche a mordu votre vie, îles charnues comme des mangues. Mes yeux m'ont empli de votre blondeur, mes narines de vos parfums. Entre vos bras j'ai célébré mes accordailles avec la terre.

 

Pourtant un jour vous disparaîtrez. Sur vos sommets l'Océan roulera ses vagues. Son grondement engloutira votre silence. Espace muet d'oiseaux, passe et repasse chaque vague.

Glauque désert de ciel et d'eau.

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Et moi ?

Et moi ?

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Adolescents ? Que savez-vous de votre vie ? Cet élan même qui vous arrache du corps des mères vous projette, toujours plus avant que vous-mêmes, dans l'inconsistance des lendemains.

 

Vous ignorez votre plénitude, vos jours au tissu serré comme la pulpe des pommes. Inconscients de cette splendeur, vous dérivez. Ne sont-ils pas champs de fleurs, ces jours, que vous vivez plus loin qu'eux aux limbes gris de l'avenir ?

 

Adolescents assoiffés, n'est-ce pas la mort qui vous hante, la vorace que vous vous précipitez à nourrir.

Impatients, plus vite que la fuite des mois, vous courez à elle, sans attendre que le sable coule vous retournez le sablier.

Adolescents, écoutez-moi. Demain n'est que le néant du rêve. Seul compte ce jour qui nous est donné.

Ne laissons-nous aucun sillage ? Ni ombre, ni aucune trace ? Les couleurs des bougainvilliers sont-elles vraiment aussi vives ?

À tout jamais s'est refermé le rouleau vitreux des vagues.

 

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La vie est là. La vie d'aujourd'hui, portant cargaison de bonheur et de peine.

La vie dans le frémissant argenté des peupliers aux feuilles blanches, dans la feuille qui tourbillonne au vent d'automne.

Dans l'or odorant des genets, dans la mousse sous les pas si souple, dans l'ambre de l'expirant Novembre.

La joie, elle est aujourd'hui, plus grisante que le bonheur, plus âpre que la volupté.

La joie, c'est qu'à moi ce jour appartient où je suis avec le sang qui bat à ma tempe et scande ma certitude d'être vivant.

Car maintenant dans ma vieillesse je le sais que je suis vivant, je sens chaque hauteur d'herbe coupée comme un don, je savoure le vent dans mes cheveux, et le goût mouillé du petit matin sur les landes.

Et la mer, la mer exubérante des Mascareignes dans un délire de soleil, … ses chevaux blancs. Elle éclate sur les récifs, dans mon cœur elle éclate aussi. Elle est toute les mers que j'ai vu danser.

Elle est la côte de mon enfance où le porphyre des goémons halés à grand han par les fermiers étincelait. Elle est ces criques de la Rivière, - ombre bleue et rose des prés – où le flux s'insinue.

Dans le canal de la Mozambique vivent pour moi tous les océans du monde. J'arrive chargé de leur cri. Le cri des singes à la baie d'Halong et cette jonque empennée d'or où peinait des marins au torse bleu pâle.

Je jette sur la mer indienne toute la joie de ma vie. Elle est résonance de mes extases. Ah ! Quand au Cormandel la barre étincelait de phosphorescences. Quand au Golfe de Tadjura l'azur tremblait entre les montagnes. Ma vieillesse enrichit toutes les plages du monde.

Provendes que la mort qui vient, jeunesse, âge mûr, vieillesse en moi se confondent. J'exulte.

Ce n'est pas sur la harpe que je loue le Seigneur mais sur l'univers et résonnent sous mon ongle les milles cordes.

*

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Et c'est un soir. Un soir comme tant d'autres aux Mascareignes quand s'exaspèrent les odeurs. La mer étend son bleu … et lumineux de papillon berbère. Brasille le dernier soleil.

 

Îles , pourpres d'azur aux treilles de la mer.

 

J'ai vu, sous le feuillage argenté des vagues, tes fruits mûrir, Océan ! les îles duveteuses et leurs golfes épanouis.

Prémices furent les oiseaux, précurseurs de jardins et de palmeraies. Autour des mats et vers la poupe ils s'éparpillent.

 

Et les parfums avant coureurs ! L'odeur  d'Ilang. Nappes épaisses de son arôme au creux des larmes, senteur de vanille et d'épices.

Puis dans mon cœur une vigie a crié « Terre !». éclosent de l'horizon les archipels,

 

Un soir dans l'entassement tropical des cumulus, et quand éclate en théophanie la pompe sombre du couchant, leur trait bleu.

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Les îles argentines tintent dans le matin.

Îles dans l'accueil des palmes, extase des fûts plongés vers la mer, sur les anses où leur reflet s'unit à …

 

Passons. Les villes ne fendent-elles pas notre trace, que nous avons respirées ? Rien de nous ne subsiste-t-il dans la salure de la mer. S'est-elle refermée si étroitement sur le pourtour de notre forme que rien ne lui en reste ? Nous, nous avons subi son souple enroulement. Et plus rien ?

Caresse de son enroulement à nos flancs.

Et moi ?

Et moi...

 

étrange de ne plus fouler vos sables. Étrange que d'autres pas aient effacé mes pas. Étrange que rien de moi ne demeure mêlé aux plantations tordues d'Ilang. Qui se souvient. Même pas un reflet comme le sourire aux yeux …

D'autres se baignent aux transparences de ces criques. Dans la chevelure immobile des coraux leurs corps adolescents danseront leur nage. Et je ne la verrai pas nous renouveler, leur jeunesse ! Îles désertées !

Ces adolescents, préserver en eux les adolescences ? Ils endureront le supplice d'être jeunes, si lourd. Toute une vie encore à vivre. Je sens dans votre corps les douleurs et je vous plains, Adolescents. Dure à porter votre ivresse ! Elle brûle. Elle ravage. Amer le désir, angoissante la volupté.

Je vous plains vous que ne savez pas la plénitude de ces jours. Leur rondeur mure et la charge de leur moisson.

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Je suis heureux. Havre de la maturité ! Je touche au port. Ferlez ma voile. Je goûte au repos d'avoir fini mon rôle. Îles serties d'argent et de calme, je suis la porte vaine  aux môles sans départs.

La vie ne me mène plus vers vous ? Je goûte à d'autres bonheurs. La maturité des automnes, sonne le débuché, les colchiques, l'herbe jaunie, la rousseur des châtaigneraies, les rayons allongés des couchants sur les prés.

J'attends à la paix. La paix du furet qui se détache. La paix des grands charrois de paille avec leurs bœufs ensommeillés.

Un soir je découvrirai la joie.

 

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J'ai vu venir ma  nation comme un navire sur l'Océan de mon Esprit. J'ai vu venir ma nation comme un navire. Lourdes voiles gonflées de grâce. Les cordages étincelant comme le givre. J'ai vu venir ma nation comme un navire chargé de grâce... Le vent dans les filins chantait le chant de la forêt. Entre les vergues était tendu l'azur des flots. Mais chaque forêt était une âme. J'ai vu les hommes comme les mats de mon navire, contenant par l'esprit toute ma création. J'ai vu...

O navire gorgé d'azur sur la mer bleue, quand les mats frôlent le zénith... Navire bleu avec l'éclat d'une blancheur étincelante. O mon navire.

 

Le navire traînait un sillage.

 

Le prêtre est à l'autel, comme la proue d'un navire et les fidèles tissent la coque.

 

Et mon fils lui-même tenait l'hostie. Mon fils sous la chasuble de chaque prêtre. Mon fils levant les bras de toute élévation.