Miserere

1937

 

Seigneur ! C'est contre toi que j'ai péché... Le mal

Je l'ai fait sous tes yeux... Contemple ma misère.

Et je n'ai plus rien avec toi, Notre Père !

Lépreux, je gis sur mon péché, comme à l'étal.

 

Adieu, mes amis, désenlaçons nos mains.

Plus rien n'est en moi de ce qui fut moi-même...

Je mentirais... Je ne sais plus si je vous aime...

Coupé de tout, j'irai sans vous par les chemins.

 

Chacun de mes baisers ment, mieux vaut fuir...

Le mal s'obstrue... Ah ! Cette boue à pleine gorge !

Le péché s'est fermé sur moi. Chaque jour forge

Plus serré le carcan dont je ne puis sortir.

 

Je vais par le royaume épais des morts, seul, pas à pas,

Seul, toujours seul, - l'amour expire à cette gangue -

Errant au monde vide, éteint et comme exsangue,

Mort avec moi... Et je ne souffre même pas.

 

Tristesse ! Mon passé n'est même plus à moi !

Mes plus chers souvenirs de moi grimacent

Un lendemain de carnaval souillé de masques.

Et le péché me colle au dos comme une croix.

 

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X X

 

Ainsi je vais par les soirs tristes de Septembre,

Tout au long des étangs frangés de roseaux morts.

La grande plaine d'eau muette et nue, au bord

D'un ciel pâle où les oiseaux du Nord s'assemblent.

 

Les flots se retirant n'ont laissé que des boues,

Des arbres noirs enchevêtrés d'herbages bruns,

Des flaques d'eau mourante où tremble le déclin

D'un soleil morne...Et tout un drame se dénoue.

 

Étreint du froid de ces campagnes étrangères,

Je vais, hâve et lassé, nourrissant mon remord.

Rien ne me répond au silence des morts,

Que ce cri d'un oiseau traqué, sur les bruyères...

 

Toi-même qui me suis au long de ces rivages,

Compagne d'autrefois au sourire éclatant,

En vain tes lourds cheveux enlevés dans le vent !

L'ange qui me chassa m'a fermé ton visage...

 

Au soir du mal je n'ai trouvé, mordu de rage,

Qu'un horrible baiser où se heurtaient nos dents.

 

X

XX

 

Mais non ! Debout ! Surgis mon cœur, il faut fuir !

Je ne sais quel amour a descellé mon âme.

La vie est là, la vie immense qui s'acclame !

Le Printemps ne peut pas mourir !

 

La vie, ah ! la saisir en nous ! La vie est joie !

Déchirante douceur des soirs trop pleins... Tourment

Du Printemps suraigu qui fuse...Jours ardents !

Mais plus secrète en nous peut-être une autre joie ?

 

Et j'ai senti plus loin que l'épaisseur du mal,

Plus loin que le remord et la douleur coutumière,

Plus loin que moi en moi, au cœur même de l'être,

Jaillir... Ah ! Cet appel doux et brutal !

 

Comme un enfant dans le sein, le mouvement de la prière.

 

X

XX

 

Nous irons par les soirs d'été chargés de rêve,

O ma Bien-aimée, nous tenant par la main.

Toi que j'attends si pure au détour du chemin...

Pure de n'être que mon rêve.

 

Fiancée inconnue, épouse au nom secret,

Que l'amour émergé des sources de ton âme

Filtre fuyant reflet que condense une larme,

Affleure...

 

Variante

Fiancée inconnue, impalpable visage...

Source de songe, arrêt du temps où je revis

Le paradis perdu des contes abolis...

Sont-ils pas morts, mes songes fous d'enfant trop sage ?

 

Laisse, mon rêve, laisse ce bras sur mon épaule,

Qu'un visage demeure à mon besoin d'aimer.

Palpite, doux regard, aux marges du créé.

Tandis que lentement oscille sur son pôle

 

La lente nuit bleue aux étoiles sans nombre.

Je t'attends chaque jour, doux fantôme futur,

Tendre spectre émané du soir comme un chant pur.

Je t'attends...Et j'entends ton haleine dans l'ombre...

 

Les milles voix du soir bruissent pour toi seule,

Que compose en silence un chant de rossignol.

Me seras-tu ce chant d'oiseau ? Le souffle mol

Glissant de branche en branche un friselis de feuilles ?

 

Laisse, lente, filtrer en toi la nuit douce.

Centre, frisson subtil, son éparse vouloir.

Respire note à note et restaure le soir.

Assume le silence au murmure de source.