Cantique pour Sainte-Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte Face

 

« Elle est née, elle est venue, elle est morte. »1

Vous avez raison, bonne Sœur,

« On n'aura pas grand chose à en dire

Après sa mort. »

Vous avez raison, bonne sœur.

Elle est venue, petite fille aux yeux tranquilles,

Elle est restée petite fille.

Ils sont si petits ses sacrifices,

Et si petites ses vertus

Héroïques...

Petites vertus, petits sacrifices...

« Le Bien-Aimé n'a pas voulu en moi de grandes choses.

Je me suis cachée comme la colombe

Au creux du rocher,

Deci delà picorant un grain pour les âmes...

Goutte à goutte, grain par grain, je me suis défaite.

La goutte après la goutte creuse son trou.

 

La piqûre après la piqûre écorche l'âme...

J'ai diminué pour que mon Bien-Aimé croisse,

Je me suis effacée pour que mon Bien-Aimé naisse.

Le voici, l'Enfant au grave sourire.

 

C'est fini le temps d'être puérile,

Et l'Enfant ne naît que pour le Calvaire.

Ah ! C'est le temps d'être virile, c'est le temps d'agir.

 

Pour le Bien-Aimé j'ai vendangé toute ma vigne,

Je l'ai vendangée grain par grain.

Vienne le vent maintenant, le vent et la grêle,

Et le soleil qui la dessèche et qui la mord.

Le vent a tout emporté, je suis comme une vigne calcinée.

Mon Bien-Aimé, dans la nuit des bêtes m'ont piétinée,

Les tempêtes m'ont ravagée...

Ah ! C'est le temps de se lever comme la sulamite devant l'Amour,

C'est le temps de chanter mon cantique à mon Bien-Aimé.

 

Mon Bien-Aimé est né en moi, voyez ma face sue et saigne,

Et je suis comme un voile pour essuyer le front de mon Bien-Aimé.

Je suis un voile pour mon Bien-Aimé. Voyez Sa Face imprimée sur ma face.

Un autre eut les mains percées, un autre eut le flanc troué,

Mais moi j'ai sur mon visage le Visage de mon Bien-Aimé.

 

Mon Bien-Aimé s'est dérobé...

Ah ! N'éveillez, ne réveillez pas le Bien-Aimé.

Avant qu'il le veuille...

Je me suis levée dans ma nuit, j'ai parcouru tout le rempart,

J'ai demeuré dans la tour de guet.

Des hommes m'ont surprise, ils m'ont piétinée.

Ils ont voulu m'arracher mon Bien-Aimé.

Mais mon Bien-Aimé est comme un bouquet de myrrhe sur mon cœur.

 

Mon Bien-Aimé revit en moi, voyez je saigne de son Sang.

Avec lui je me suis mise dans le foulon,

Avec Lui j'ai brassé la vendange.

Dès l'aurore je me suis mise dans son travail.

Voyez ma robe est toute teinte de son Sang.

Qu'il vienne maintenant, qu'il entre dans mon travail.

Qu'il amasse mes gerbes dans son grenier, qu'il distribue mon pain aux pauvres...

Le Bien-Aimé n'a pas paru.

 

Où donc s'est dérobé le Bien-Aimé ?

J'ai parcouru tout le rempart,

J'ai demeuré dans la tour du guet.

Dans la nuit l'ai dû brasser sans lui la vendange.

Sans lui l'ai coupé la moisson.

En vain je L'ai appelé, en vain je me suis parée,

En vain j'ai vendangé sa vigne...

Ah ! N'éveillez pas, ne réveillez pas le Bien-Aimé,

Avant qu'il le veuille !

 

Tous les vents du désert ont passé sur moi.

Je suis comme un cyprès calciné, l'olivier criblé de sable.

Le vent épais m'a submergée comme une mer...

Me voici debout et ma lampe ne s'est pas éteinte.

Le vent jaune m'a enroulée, l'océan du vent m'a desséchée.

J'ai crié de soif dans le désert...

Mes sœurs, n'éveillez pas, ne réveillez pas le Bien-Aimé,

Avant qu'il le veuille !

 

N'éveillez pas, ne réveillez pas le Bien-Aimé !

Qu'importe la douleur quand repose au fond de soi la paix !

Ah ! Qu'importe la vie quand on a devant soi la mort !

Au dernier jour se fendra le rempart, je me dresserai dans mon corps,

Et j'ouvrirai mon âme vide à tout mon Dieu !

Je serai debout dans ma joie, je m'ouvrirai comme l'aurore,

Je jubilerai dans l'or, j'aurai mon Bien-Aimé sur le visage et sur la terre

Je pleuvrai des roses !

 


1 Paroles prononcées par une sœur converse, sitôt la mort de Sainte-Thérèse de l'Enfant Jésus.