Prière sur la France dévastée

31 mai 1940

 

Vous êtes belles, Cathédrales ressuscitées !

J'ai tant vécu parmi les morts que je ne suis pas sur d'être vivant. Si fort était le lien qui m'unissait à vous, mes amis, que je ne sais pas bien si je vous ai suivi ou si je reste. Je me sens si près de vous. Déjà je vois ce que vous voyez...

O France martyrisée, qu'elles sont belles tes cathédrales ressuscitées. Construites d'ombre et de lumière, l'air plus que la pierre est leur matériau et ces pans de ciel découpés comme des vitraux. Cathédrales plus chantantes que les murs, plus bruyantes dans le vent que les épis, vos voûtes planent comme des branches sur le soir. Et sous cette voute roule l'écho des orgues et sans cesse des voix d'enfants se jouent aux colonnettes des galeries, et sans cesse les cloches mêlent d'accords imprévus les chants qui montent de vos colonnes et chaque pierre exsude les chants après des siècles.

O cathédrales, sur les cités ressuscitées, sur les usines ressuscitées. Les usines exsudent le travail de tout un peuple. Elles rayonnent du travail, le patient labeur d'un peuple où chaque ouvrier fut un artisan. Elles chantent, et ce sont comme ces voix qui fusent des lavoirs vers midi, qui fusent...

Je marche parmi ces moissons qu'on n'a pas semées et qui lèvent. Je cueille les fruits aux vergers dévastés. J'achève ces vies qu'on n'a pas vécues. Je suis les amours qui n'ont pas éclos, les peines qu'on n'a pas souffertes. Tant d'âmes sont en moi que je ne connais plus moi-même.

Par la main, mes amis, par la main nous continuons de nous tenir. Par l'âme, mes amis, par l'âme nous continuons de nous aimer.