Adam parle

 

J'étais silence. Pur, si pur le réseau de mes gestes. Si pur l'élan du corps jailli tout neuf de ce silence. Aucun poids ne pesait à mes mains. Nul effort n'altérait, votre souplesse d'algue mes bras nus. Sidéral harmonie d'un corps libre. Je vous sentais au bord de moi, O sur mes mains inconscientes – étoiles. L'essor des voies lactées avait source en mon cœur.

Un arbre altérait cette emprise, seul un arbre plaît à mon corps, obsession, o dissonance – soulignait-il cette harmonie ? J'étais jaloux. Mes passives étoiles, qu'importait votre obéissance. Parfum des soirs d'été, ombre longue, lourdeur, maturité d'automne aux vignes rouges, que m'importait. J'étais jaloux. Adonaï, tu ne m'avais pas tout donné. Que j'atteigne à cet arbre. Il pleut en dehors de moi, ses feuilles respirent - déchirantes – hors de moi. Indicible attrait, vertige.

O Ève, j'ai touché le fruit de l'arbre. Ève, je l'ai mangé. Un amas de silence est tombé sur mon cœur. Un silence de vide. O mon beau silence de plénitude aboli ! Plus rien, plus rien soudain que ces éléments humains et cet arbre. Il naît, il remplit tout. Il m'étreint ; il m'enterre. Il est en moi dans tout mon corps et dans mon âme et les jointures craquent  sous la pression de sa sève. Arbre, corps soudain ! D'épuisantes ramures poussent aux bras lépreux. Ses feuilles vibrent dans chaque veine. Je suis cet arbre dévorant. il m'enferme en moi-même. Enclos  je ne dépasserai plus mes mains, le sol où sont mes pieds est mon unique espace. Fermé ! Je me suis une forme étrécie, une prison  ! Qu'êtes-vous devenu firmament ! Astres purs, vous tous où je posais ma présence immortelle, un vide qui m'effraie m'a séparé de vous. Et l'arbre, l'arbre seul aux branches étouffantes. Il mure l'horizon. Il croit toujours. Il est le monde...

Et j'ai connu le nom de l'arbre : la douleur.

Ah ! Au sortir de mon sommeil cette chose neuve, la douleur. Elle dormait tapie dans un sourd repli de ma chair. Arbre unique, et tout à coup cette forêt. Mon corps est un faisceau d'éclatantes ramures. Peines, brulant repère des futures douleurs.

Ce cri au ventre de la femme  (ah ! La vie est soudain douleur). Il est en moi.

L'angoisse de mourir a jailli dans mes veines. Cet univers peuplé de morts où naitre gémit en mon foie. J'étouffe sous le flot des souffrances. J'étouffe. J'étouffe.

Ève tends moi les mains que je ne sois pas seul. Ève je t'ai perdue. Le mensonge des voiles sur tes yeux. Une pénombre de mensonge t'observe. Je me heurte à toi – comme à une pierre – et mes dents foncent sous tes dents. Furie, est-ce toi : O déchirante volupté ? Et plus rien. Ta voix s'est tue. L'élan retombe, l'unique instant s'éteint.

...En vain cette carence le suit-elle.

...Tes mains larges comme des fleurs dressées.

Pourquoi les as-tu prises  avec toi les étoiles, pourquoi ?