Divers

Vers 1928

 

Nous savons le sens de notre Douleur, et ce grand étirement du monde entre son propre poids et la grâce. Les savants nous ont dit la lutte entre la pesanteur et cette force qui dilate l'univers. L'univers charnel est à l'image de l'univers spirituel où deux forces luttent qui tout entraînent, et nous sommes au point même d'intersection de ces deux forces, étirés entre  le mal et la Grâce, tendus par toutes les forces en lutte dans un atroce équilibre, - et dans cette extension extrême nous sommes fichés par quatre clous.

 

Rendre amour pour amour, et Douleur pour douleur

Être la torche qui flamboie... Je l'ai voulu !

 

J'ai voulu la douleur intense comme une joie...

L'univers de la douleur, le vin qui saoule

Ah ! Saigne mon corps, tordu d'amour. Saignent mes mains.

 

Me voici seul, cerné d'Amour de toute part

Pas un arbre qui ne voit lui, où fuir ? Me fuir moi-même ?

Il m'a pénétré comme une eau, il m'a fait poreux à la Grâce

Il m'a dévoré comme un feu, plus rien de moi qui ne soit Lui.

 

Amour ! Je suis cerné de lumière !

Ah ! Venez à moi toutes choses.

Montez à moi création naissante, autre du Monde

terre dans mon esprit comme au premier jour virginale

O ! terre en moi ressuscité, Candide et Ta souillure abolie

pure ! Toute chose en moi jointe au Christ.

Terre je suis ta croix et mon regard te ressuscite

O terre vue d'azur, jaillie stridente de mille trilles

terre gonflée de cris d'oiseaux lourde de sève

mon regard t'aspire à la Grâce, je t'ai muée en prière.

 

Terre ton Dieu t'épouse dans mon âme !

 

Dieu parle dans le tonnerre

Je suis

Dieu

Je suis celui qui suis

Je suis

Dieu parle dans l'azur du ciel

Je suis le premier et le dernier l'α et l'ω, L'Unique et l'omniprésent,

Je suis la joie, la vie trois fois vivante, la vie une triple fois rejaillie,

Je suis la vie, la vie en son septuple septuflement : l'Amour.

Dieu parle dans le rayon de l'Amour

Ah ! Ne m'a-t-il pas suffi de m'adorer moi-même

Trois fois replié sur moi-même dans la triple réflexion de mon Amour

Ne m'a-t-il pas suffi de m'adorer dans le Fils qui crie la joie du Père,

Ne m'a-t-il pas suffi de m'adorer dans l'Esprit ineffable qui nous étreint,

Ne m'a-t-il pas suffi de m'adorer moi-même ?

J'ai créé des dieux

Pour m'adorer encore plus dans l'adoration de moi-même.

Pour dépasser encore dans l'adoration de moi-même l'infini de mon adoration

J'ai créé l'homme à mon image

Non pas une émanation de moi, non pas moi-même, mais mon image, mon image séparée de moi, indépendante et volontaire comme un dieu,

Mon image séparée de moi, et bientôt comme moi-même dressée

Mon image, comme moi libre, comme moi pensante, comme moi vivante.

Non pas moi, non pas une émanation de Moi, mais comme me dépassant moi-même

Mon Omniprésence créant un ciel où je ne puis ne pas être

Mon amour créant qui peut ne pas m'aimer.

J'ai créé un être.

Dieu parle dans un souffle d'air

Ma création !

J'ai vu venir Ma création comme un navire

Sur l'océan de Mon Esprit

J'ai vu venir Ma création comme un navire

Chargé de grâce.

L'or éclatait à tous les mats de mon navire,

Le soleil naissant creusait les voiles d'ombre d'azur,

Et le navire chantait en glissant.

Chant des forêts, quand la bise est calme – comme un ???

Chant de la mer, toute creuse au matin

Chant de l'aurore, quand l'azur et l'or débordent pour la possession de la terre,

Et mille voix comme des voix d'enfants criaient la joie du jour frais ???

C'était au matin de ma création, en cela éternel matin de la résurrection quand toutes choses se font nouvelles

Et il n'y a plus d'herbe sans rosée , ni de ruisseau qui ne brille...

Oh ! Ce matin ! Quand toute ma création est l’Église.

 

Te voici, toute ma création dans l'éclatant soleil de l'Esprit,

Le soleil qui pénètre, illumine intérieurement, et fait lumière, tout corps.

Ma création !

En vain tu m'as oublié, ce silence même on le roule et qui l'effraie

C'est moi

Cette nuit par-delà ton soleil et l'effort croissant de tes nébuleuses

C'est moi

En vain tu as fui, en vain tes nocturnes ont joué du tam-tam pour t'assourdir

tu ne pouvais rien être où je ne vois, ces instants mêmes où tu te disperses sont comme les jours d'un tapis immense où tiser mon nom.

Ma création ressuscitée.

Mais déjà, me penchant du ciel je vois ma création ressuscitante

Ma création nature de l'Esprit, et qui la roule et qui la pétrit pour mon Christ.

D'un seul regard parcourant des siècles et des siècles où toute ma création s'enroule

Avec mon Christ comme un sommet, comme un astre tirant la marée par le centre

En vain l'effort des barques qui te tirent vers le rivage, en vain l'effort de la tempête

Nul ressac qui ne soit plus court, aucune vague qui la dépasse

De toute part je vois ma création montant au Christ, et qui le prophétise et qui le compati.

Et comme d'une colline se compose le paysage toutes s'ordonnent à lui.

Et voici que déjà pour toute ma création est l’Église,

Ma création appuyée aux cieux, et dont les saisons s'ordonnent à sa liturgie

Ma création chanteuse, ma création comme au sacrifice préparée,

Ma création comme un holocauste, ma création comme le bois même de cette Croix

Qui officie son offrande tout mon Christ.

Ah ! Chantent les forêts moutonneuses, chante la mer...

Ah ! Chante le soleil par la voix de mon Orante éternelle

Chantent les vents, chantent la rosée et les matins rayonnants de mai,

Chante l'hiver, chante l'été, chante la pluie de printemps,

Chante l'automne  mure, et plus fort que tout chantent les hommes.

 

J'ai vu venir ma création comme un navire

Sur l'océan de mon esprit.

J'ai vu venir ma création comme un navire

Lourdes voiles gonflées de force

J'ai vu venir ma création comme un navire

Chargé de force,

A ses flancs l'or étincelait avec les astres

Comme des grappes pendaient les soleils aux cordages, comme des fleurs rouges les nébuleuses,

Et toutes les moissons succédées, les vendanges réitérées

Toutes les crues et tous les ressacs, les profondeurs et les altitudes,

Tout chantait à ses fleurs... et chaque mot était une âme.

J'ai vu venir ma création comme un navire

sur l'océan de mon esprit

J'ai vu venir ma création comme un navire

Lourdes voiles gonflées de force,

J'ai vu venir ma création comme un navire

Chargé de force

Et plus avant que tout, dominant la proue, ??? comme un beaupré toute force et toute ???

En ton Fils même tendant l'Hostie.

 

Chœur des hommes

Où fuirai-je loin de ton esprit ?

Te voici de toute part qui me cerne

Cette mer est toi, participante à la reproduction de l'eau,

Cette terre, porteuse de ses fruits que forment à ton visages les rogations

M'ensevelirai-je sous les moissons ? Tu l'a aspiré pour ton corps.

Ah ! Me replierai-je en moi-même, fermerai-je les yeux pour ne plus Te voir ?

Tu es là, et voici que tu m'as précédé en moi, et c'est Toi-même que j'y trouve.

Seigneur nous ne pouvons plus rien être d'autre que ton fils.

Seigneur, il nous a tissé de son eau lors du baptême, toute l'eau de notre corps, c'est Lui.

Nous avons cru dans sa Confirmation, sa Confirmation nous a creusé de ses arcanes.

Père, le faire s'est fait tellement notre chair que nous voici Eucharistie.

Ah ! Que serai-je d'autre que toi-même. Que verras-tu sinon ton Fils, et sa bienfaisance éternelle.

Voici qu'en nous le miroir s'est refermé où tu peux contempler sa face.

Le monde spontanément resserré, le temps fait instant pour ton image

Père, vois en nous les prémisses de ce monde reformé.

Quand l'émiettement des heures se retouchent en éternité

Quand l'espèce restituera l'omniprésence.

 

Cette heure, quand après la dispersion des vagues la mer retrouve sa plénitude immobile,

Cette heure, quand après les nuages, l'azur reparaît absolu

Cette terre, quand l'homme se retourne et voit sa vie d'un seul regard

Cette minute où son chant se fait Pain.

Ah ! Puissions-nous, Seigneur, être dans ce pain que le prêtre élève,

Le bon priant pour le mauvais, le fort portant le faible sur son épaule.

 

Traînant avec nous toute ta création pour que tu l'achèves vers un seul amour,

Ton Christ et son éternel offertoire.

C'est pour toi que j'ai connu l'effort des astres désassemblés.

 

Et le prêtre répond

Pourquoi l'injustice du négoce brandi le désordre du sang.