Les nouveaux iconoclastes

21/7/1966

 

Mon plaisir d'entrer dans les églises de campagne sera-t-il gâché cet été ? Hélas ! dans trop de ces églises des iconoclastes ont sévi. Où est-il ce charmant retable du XVIIIe siècle, qui chantait si bien devant Dieu la joie de Sa création ? Ce maître-autel si heureusement galbé, qu'en a-t-on fait ? Dans certaines régions on constate un massacre. N'est-il pas navrant de voir, comme je l'ai vu, de belles colonnes torses dans l'abandon d'un galetas, tandis que s'impose au transept un édicule inspiré à coup sûr par l'esthétique des emballeurs. Des épurations parfois nécessaires et souvent heureuses, mais aussi, sous leur prétexte et à leur occasion quel rejet d’œuvres honorables ou même belles !

Le pire, je l'ai constaté dans un bourg de la vallée de l'Arve. Le Guide Michelin en signale l'église comme un bon exemple de baroque savoyard et je l'aimais pour l'or de ses statues chantant sur le gris des murs. Cette église dénonçait tous les jansénismes.  On y priait dans une atmosphère salésienne. Elle clamait la grande joie catholique où tout un univers racheté est accueilli dans l'art liturgique. Allons donc ! Voici cette église dépouillée de ses statues d'or. On la dirait, à présent, née du mariage d'un hall de gare et d'une salle de bain. Ses gris auxquels ne répondent plus de taches d'or n'ont plus que couleur de poussière.

Ce mauvais goût (car il existe un mauvais goût de l'austérité), résulte sans doute d'un contre-sens sur l'enseignement d'excellente revues, telles que l'Art Sacré ou Zodiaque. Je souhaite que celles-ci procèdent à des mises au point. Elles devraient rappeler que le roman n'est pas le seul art religieux. N'oublions pas, au surplus, que la basilique romane était toute parée de couleurs vives et qu'on y admirait des chefs-d’œuvre aussi rutilants que la Sainte Foy de Conques ou certains bustes-reliquaires. Découvrons, aussi, les valeurs du baroque, même si la France n'en présente que peu de bons exemples. Ce style n'a-t-il pas été loué par le Claudel du Soulier de Satin,  (d'ailleurs qu'est Claudel, sinon un baroque de génie?). Sachons aussi admirer notre art classique. C'est un paradoxe : alors que les revues depuis des années exaltent Ledoux, personne ne s'arrête pour admirer, animée de la même inspiration pourtant et digne de lui, la chapelle du lycée Hoche à Versailles. Aucun critique n'a, non plus, rappelé combien est juste de proportions, à Paris, l'intérieur de Saint Thomas d'Aquin.

L'ignorance de nos modernes iconoclastes me surprend. Leur manque de formation m'afflige. Leur snobisme intellectuel m'indigne. Mon inquiétude va encore plus loin, car ces églises dévastées n'enseignent plus la joie. Elles n'apprennent plus le jeu royal de l'Incarnation. Elles portent à je ne sais quel platonisme contempteur d'une chair pourtant déjà ressuscitante. On pourrait oublier que nos sanctuaires ne sont pas une antichambre du Purgatoire, mais le chemin par où le Peuple de Dieu monte d'une marche exaltante vers la Parousie.