Ode dédicatoire pour la Cathédrale Sainte-Anne du Congo

Juin 1951

 

Mère noire, Mère noire, aïeule aux deux mains levées sur l'Afrique,

Mère au visage noir – sur l'énorme Afrique – priante,

Sur le continent obscur, la grande terre sombre, la Terre encore impénétrée par la Grâce,

Là juste où le fleuve Congo la coupe en deux comme une mangue,

Reine noire de notre attente,

 

Au cœur même de ce continent – Grande Ourse et Croix du Sud se répondent -,

Dans le grondement du fleuve échevelé en cataractes,

Dans cette prière encore informulée,

Cette plainte encore inféconde,

Dans la création qui geint et qui ne sait pas qu'elle attend

Que tu engendres la Mère de Grâce.

 

Autour de toi c'est le silence de la nuit et le silence de la mort,

Le silence ininterrompu de l'énorme fardeau végétal,

La forêt sans oiseaux, l'enserrement des lianes et l'immobile corps à corps

D'où seul émerge jusqu'à l'épais ciel tropical,

Ange d'argent, un kapokier.

 

Le silence... et soudain le cri d'un homme-panthère,

Et le tam-tam. La nuit halète et râle comme en rut...

Et le tam-tam... les femmes ont gémi de peur. L'homme-panthère est dans la rue.

À ses maléfices, consentante et complice, s'offre la terre,

La terre veuve et sans prière.

 

Mère noire, lève tes mains sur le continent obsédé.

C'est le tam-tam... Hurle la chair dans son délire, hurle la chair.

Les femmes ont miaulé de peur comme des hyènes, elles geignent de tous leurs nerfs.

Grande fleur pulpeuse, la tornade a barré le ciel gris de fer.

Bat le tam-tam désespéré.

 

Mère, lève tes mains, ô première née de la Grâce sur cette terre,

Anne qui sors à peine des siècles obscurs de l'Attente,

O génitrice de Marie, première née, mère première !

Vois de ces peuples de l'Afrique la foule dolente et patiente.

Assume la dans ta prière.

 

*

* *

Et la paix descend sur le continent. Une étoile pointe à travers la brume.

Les frangipaniers de lait et d'or embaument la nuit purifiée.

Les terrasses de latérites sont violettes sous la lune.

Le tam-tam s'est tu, les femmes sont endormies, et sur le fleuve calmé

Glisse sans bruit une pirogue.

 

Glisse la pirogue de l'espoir, la pirogue de la prière,

Lourde des Sainte-Marie futures qui naîtront de toi, Mère Sainte-Anne,

Cathédrale parturiente, grange de nos moissons en germes,

cellier des grâces, haute resserre !

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Et sur l'immense continent, comme un murmure de mil entrefroissé, j'entends les âmes

Qui se lèvent pour la prière.