I

- Bois une gorgée de tilleul, mon chéri. Je me retournais, c'est moi, j'étais malade. L'atmosphère trop chaude et fade de ma chambre me surprit, je reculai un peu.

- Voyons, sois raisonnable, mon chéri, montre que tu es un grand garçon, murmura ma mère en me soulevant. Tu as aujourd'hui quatre ans, montre que tu es un homme, allons bois.

Quatre ans, il y avait bien longtemps que j'avais envie de les avoir, que je disais quand on me demandait mon âge : « J'ai presque quatre ans ». C'est drôle rien n'était changé, j'étais toujours malade, comme hier, comme avant...

Je me retournai vers le mur... Peu à peu les dessins de la teinture s'organisèrent, quand on penchait la tête à droite ils formaient de droite à gauche des rayures perpendiculaires... Je les fixai avec attention, les dessins se précipitèrent vers moi. J'avais chaud. La fièvre montait.

Maman se dirigea vers la porte.

- Ne t'en vas pas maman... Surtout ne pars pas j'aurais trop peur.

Elle eut son beau sourire lassé : « Mais voyons mon chéri je suis en robe de chambre.

- Pour la première communion de Lolotte aussi tu es partie en robe de chambre, ne t'en vas pas maman. »

Elle revint près de mon lit : - « Voyons, mon jojo ; ne te mets pas dans des états pareils... Là, je suis près de toi, je te tiens la main... »

Un immense apaisement me prit, c'était très doux, je pressai la main de maman.

- Raconte-moi une histoire.

- Il était une fois une petite fille qui cousait très bien ; toute la journée elle travaillait pour les pauvres...

- Non, chante :

Il était une bergère,

 et ron et ron, petit patapon

il était une bergère...

- Non pas celle là, une autre...

Arlequin tient sa boutique

sur les marches du palais

- Non pas celle là non plus, je ne l'aime pas. Mais quelle chanson veux-tu… Tu me demandes de chanter et jamais tu n'es content...

Il était un petit navire

il était un tout petit gars

- Oui celle là maman.

Aujourd'hui encore j'entends la voix de ma mère chanter en moi, si triste qu'elle enrichissait la chanson de tout son pathétique...

Il était un petit navire

il était un tout petit gars

… le navire unbmorceau de hène

qui n'avait jamais navigué,

le gars tout le long de la grève

suivait son navire en rêvant

en rêvant au pays du rêve

dont on lui parlait trop souvent...

Mais un jour la vague méchante

emporta le frêle vaisseau

sans prendre garde à la tourmente

le petit gars entra dans l'eau.

Je haletais, trop de tristesse, de poésie, m'envahissaient...  Un inconnu de pathétique sourdait en moi... Je souffrais exquisement, j'allais disparaître, me dissoudre,  fondre...

et depuis lors sans paix ni rien

son bateau serré dans ses bras...

- Mais mon Jojo chéri, ne pleure pas, tu as mal...

Je ne rassurai pas immédiatement maman, d'être plaint ajoutait encore à mon délicieux chagrin...

- Non, je n'ai pas mal, mais c'est si triste ta chanson...

- Alors je vais t'en chanter une autre :

Il pleut, il pleut, bergère,

rentre tes blancs...

- Oh ! Non, Oh ! Non, maman... La chanson trouait ce monde intérieur où je me grisais de mélancolie, - Maman finit la belle chanson du petit gars.

- Mais elle te fait pleurer mon chéri.

- Oui, je pleure, mais c'est agréable de pleurer, c'est parce qu'elle est trop belle ta chanson...

Du petit gars ne faut pas rire

Ami nous mourrons de son mal

Chaque jour un de nous chavire

en courant après l'Idéal.

Je sanglotais...

Maman me pris dans ses bras, je me serrai contre elle...

- Maman qu'est-ce que c'est l'Idéal ?

- C'est quelque chose de très beau, que l'on désire beaucoup et qu'on voudrait atteindre...

Ce devait être ce que je venais d'éprouver. L'idéal, oui... L'idéal, cette volupté d'être triste.

- Oh ! Maman, chante encore le petit gars.

Il était un petit navire...

Et délicieusement, je me remis à pleurer.