Amérique amicale

Et l'amour...

L'Amérique comporte deux énigmes : sa vie religieuse, sa vie sexuelle. Ce sont, je crois, ces énigmes qui nous la rendent si profondément imperméable. Nous sommes incapables de comprendre les manifestations les plus caractéristiques de sa sensibilité.

Il manque une psychanalyse de l'Amérique. On en écrit la psychologie. Mais sa sensualité, personne ne s'est penché pour nous sur son mystère. Moi-même, je suis passé trop vite. J'en ai vu des manifestations. Je ne parviens pas à les raccorder.

Les États-Unis me sont apparus comme écartelés entre le puritanisme et le dévergondage. Un immense refoulement pèse sur ce peuple. Ces femmes, il me semblait parfois que toutes me tendaient leurs lèvres. Les conversations que dans les soirées chaudes de Calveston, de Pensacola, de San Francisco, j'entretenais avec elles comportaient toujours une légère équivoque. Flirt ? Même pas. Je ne sais quel trouble. L'impression que la main pèse un peu trop sur le bras. Le rire fuse un peu trop vif. La voix se brise soudain sans que la phrase s'achève.

Elles étaient belles et tentantes pour un homme jeune et j'en sais que cette invite sourde enhardissait. Je ne crois pas pourtant qu'ils aient satisfait le désir que les soirs moites avaient fait naître.

Et pourtant on me dit que l'Américaine se livre facilement. Peut-être... Je n'en sais rien. Je me rappelle la confidence d'un ami : « L'Américaine n'est pas dévergondée. Son abandon vient de sa froideur. Si elle se donne facilement, c'est qu'elle n'éprouve aucune vraie volupté. La femme est pudique dans la mesure même de son tempérament. Elle ne dissimule, d'instinct tout au moins, les choses de l'amour que lorsqu'elle y prend un plaisir. »

Belle, tentante et froide, et tentée, ainsi j'imagine l'Américaine. Froide peut-être d'appartenir à des hommes plus friands de sports que d'amour. Ici l'homme prend sportivement son plaisir d'une minute...

Et c'est l'attrait pour elle de l'Européen, qui pare sa sensualité d'un jeu habile. À défaut de goût pour la volupté, avec lui elle s'amuse de ce jeu.

Hypothèses, tout cela. J'essaie de m'expliquer des confidences contradictoires. Pour moi, je ne puis donner qu'un seul témoignage. J'ai vu aux États-Unis beaucoup de petites femmes braves et chastes. Mères et ménagères, elles n'avaient de temps ni de goût pour ce jeu frivole..

Et des Américains, je puis témoigner ceci. Ils sont en général d'excellents maris, fidèles et dévoués, probes jusque dans leur amour. Les tâches de la maison, dans ce pays sans domestiques, les occupent autant qu'elles absorbent leur femme. Rentrant chez eux, ils quittent le veston pour la robe de chambre en coton clair, lavable comme une blouse, et se livrent aux soins du ménage. Je me rappelle cette réclame pour une nouvelle forme de couches : « Même papa peut changer bébé ».. L'image, montrant un père changeant son petit, ne paraissait ridicule à personne.

Il reste pourtant l'immense refoulement de ce peuple, l'appareil compliqué, bizarre, dangereux même, de ses lois contre l'adultère. Les vieilles filles, dont le rôle est si grand, traquent en les soulignant, peut-être même en les provoquant, les formes illégales de l'amour. Dans chaque hôtel une police veille pour qu'aucune femme n'entre dans votre chambre. On refoule l'adultère vers le square et l'auto. On ne le supprime pas ainsi.

Et puis à côté, cette impudeur presque provocante. Les « drog stores » arborent des vitrines de préservatifs. Les librairies multiplient les encyclopédies sexuelles...

Refoulement, mais non hypocrisie, cynisme plutôt. Je sais de pures jeunes filles qui, par vantardise, cachent ostensiblement dans leur sac à main une boîte de préservatifs. On se met facilement du côté de l'amour traqué. Après tout, dans une telle contrainte, peut-être apparaît-il un sport dangereux, et les Américains aiment ces sports.

Ajoutez aussi une vulnérabilité extrême à toutes les excitations. Les Américains n'échappent jamais complètement à leur crise de puberté. Elle se prolonge toute leur vie. Je me rappelle aux « burlesques » ou dans les « script teas » ces regards fixes, ces bouches serrées pour le spectacle pauvre de femmes se déshabillant... Un gamin de quinze ans égaré au Concert Mayol.

Et le divorce ? Je sais, les Américains ont canalisé et légalisé l'adultère. On divorce et voilà tout. En France, le divorce nous choque plus que l'adultère, l'Américain l'adultère plus que le divorce. À ce propos, Francis de Croisset a un bien joli mot : « Il existe entre les Anglo-Saxons et nous un divorce pour incompatibilité d'humour ».

Le divorce est évidemment beaucoup plus fréquent aux États-Unis que chez nous. Mais ici encore je ne puis donner qu'un seul témoignage : j'ai vu surtout des époux fidèles et de vieux ménages bien assis. Jamais un jour la facilité de se séparer ne les avait tentés.