L'Inde séculaire tourne le dos à son génie

II Écho à l'ONU

Non, même pas dans la « zone », même pas dans les « bidonvilles », même pas au Moyen-Orient, je n'avais vu telle misère. Les faubourgs de Bombay s'étalent comme une plaie. Des camps s'y étirent entre la lagune et les tas d'ordures. Sous quelques journaux tendus entre des pieux s'entasse une famille entière. Des bébés nus y dorment à même la boue, tandis que dans les mares les enfants, un peu plus grands, mêlés à de jeunes porcs et comme eux couverts de fange, pataugent.

Ici, la misère n'a même pas de toits. On dort au long des trottoirs et parmi les corps allongés grouillent les rats.

Pendant que je parcours ces faubourgs, me demandant parfois si je ne suis pas en enfer, des voix parlent dans ma mémoire. Voix doucereuse de M. Tha à la quatrième commission de l'ONU, voix de M. Pillaï, voix de sir Rajah Maharaj Simah, voix de M. Menon, voix même de M. Nehru dans un récent discours aux États-Unis. Comme elles sonnent curieusement ! Elles attaquent, elles insinuent. Elles dénoncent impitoyablement les puissances « coloniales ». Instruction, hygiène, discriminations raciales, voilà leurs thèmes. Pourtant qu'est mince la paille coloniale à côté de la poutre indienne !

« Il faut que disparaisse la discrimination, ce vestige du passé », a déclaré M. Nehru. Comment n'en être pas d'accord, dans ce temple de Vichnou, aux portes de Trichinopoli, où une pancarte, pour écarter les intouchables, indique qu'on doit porter son insigne de caste – et même dans ces églises catholiques, où seuls les castés ont droit à des sièges. Hier, je parlais avec un jeune Indien de treize ans. Avec quel orgueil il me parlait de sa caste. Même le noir du sud des États-Unis est un privilégié à côté des parias des Indes.

Pour l'instruction, ne citerons-nous pas en exemple à M. Menon ou à M. Pillaï nos comptoirs des Indes où l’analphabétisme n'existe pas aux portes même de cette grande Inde analphabète ? Et pour l'hygiène...

Mais à quoi bon s'indigner ! Nous savons tous ce que cachent les attaques vertueuses des délégués indiens. L'indépendance a précipité le nationalisme indien en impérialisme. Toutes ces belles déclarations ont pris leur sens ce 10 décembre 1946 où M. Menon demanda que son pays soit partie au traité de tutelle du Tanganyka, sous prétexte qu'y subsiste une petite minorité d'immigrants indiens. L'Inde se veut une grande puissance : elle cherche des clientèles.