Agonie et mort des Établissements Français dans l'Inde

Ultimes négociations

Avec un grand réalisme, la France propose à nouveau la seule solution qui corresponde vraiment aux aspirations de la population comme à la situation et  à l'histoire des Établissements : un condominium avec très large participation de l'Union indienne sur le plan politique et sauvegarde des intérêts français sur le plan économique et financier. La délégation indienne rejette cette solution de raison et réclame avec obstination le transfert pur et simple des Établissements. En particulier, elle ne veut pas entendre parler d'une consultation populaire. Ces négociations échouent et, dans les premiers jours de juin, la délégation indienne repart pour Delhi.

Bien entendu, les coups de force reprennent. Yanaon est occupé par l'Inde. Cette occupation de fait est suivie, le 16 juillet, par l'occupation de Mahé. Devant l'intransigeance indienne et ces coups de force, la France décide d'abandonner purement et simplement Pondichéry et Karikal. Un navire doit venir le 12 août embarquer les derniers représentants de l'autorité française.

Cette menace semble inquiéter l'Union indienne émue que son déni de justice soit par trop manifeste. De nouvelles avances nous sont faites. De son côté, le gouvernement français montre son extrême, pour ne pas dire excessive, bonne volonté. Le 27 août 1954, par 371 voix contre 215, il se fait accorder par l'Assemblée nationale un sorte de blanc-seing un peu ambigu, le ministre de la France d'outre-mer, M. Robert Buron, ayant usé d'un argument de grand poids : l'impossibilité matérielle d'exiger un référendum quand le gouvernement indien le refuse.

Car à ce moment, hélas, tout le débat est circonscrit à une alternative : ou bien l'abandon spectaculaire, appel au droit et à la conscience internationale, dans le style de la protestation de la grande duchesse de Luxembourg en 1914, devant la violation de son territoire par les Allemands, ou bien essayer de sauver quelques bribes par d'ultimes pourparlers.

Le style, la noblesse plaident pour la première solution. Elle est seule compatible avec l'article 27 de la Constitution. Elle peut servir de base à une procédure internationale. Mais pour la reprise des pourparlers, on invoque des arguments probants. Le recours à l'ONU est illusoire : la majorité prétendue anticolonialiste d'une institution qui, au surplus, a montré son impuissance dans l'affaire du Cachemire, ne donnera jamais raison contre l'Inde à une puissance occidentale, quel que soit le bien-fondé de sa position. D'autre part, des négociations peuvent permettre de préserver en partie nos intérêts matériels. Enfin, l'Inde joue un rôle déterminant dans l'exécution des accords de Genève : on pense avoir intérêt à la ménager.

Tous ces arguments sont de poids et, bien qu'ils se soient montrés par la suite en partie illusoire, notamment en ce qui concerne le rôle indien à la commission d'armistice, on comprend qu'un gouvernement s'y soit rangé. Ainsi s'est ouverte, avec le Congrès de Kijeour, le 18 octobre 1954, la dernière phase de cette triste aventure.