Agonie et mort des Établissements Français dans l'Inde

L'année 1954

Nous n'insisterons pas non plus sur les détails ultérieurs pour en venir à l'année 1954, qui devait voir la mort de l'Inde française. Nous avons déjà vu dans quel climat elle avait commencé et quel était le redoublement de la guerre des nerfs – redoublement tel que les Établissements étaient au bord de la famine.

Cette situation ne pouvait que troubler la stabilité intérieure des comptoirs. D'autre part, elle aurait dû être suivie de très près par le ministère de la France d'outre-mer. Or, les premiers mois de 1954 paraissent marqués du côté français par une certaine incohérence.

Tandis que le commissaire de la République, M. Ménard, est appelé en France, sans doute pour informer le gouvernement et trouver une solution désormais urgente, les intrigues se multiplient à Pondichéry. Le député, M. Goubert, qui avait été élu à une énorme majorité sur un programme de résistance aux prétentions indiennes, entre en conflit avec l'administration. Le personnage était d'ailleurs inquiétant. Doué d'un don d'intrigue très poussé, il avait exactement le physique de Pierre Laval. Je garde un souvenir très précis d'entretiens que mon collègue M. Schock et moi-même eûmes avec lui à Pondichéry, à l'automne 1949. Sa capacité politique était frappante, mais sa volonté dictatoriale non moins sensible. Son intégrité ne paraissait pas non plus au-dessus de tout soupçon. Par contre, son influence personnelle était énorme. Toujours est-il que M. Goubert ayant été, au début de 1954, compromis dans une affaire de fraude lors d'adjudication de licences de débits de boisson, certains de ses principaux supporters furent arrêtés. Du coup, M. Goubert signe un manifeste, le 18 mars 1954, réclamant le rattachement immédiat et sans référendum des Établissements à l'Union indienne. Puis, le 24 mars, il gagne l'Inde.

La confusion politique résultant de la volte-face du député pousse le gouvernement de l'Inde à accentuer ses pressions. La frontière est entièrement fermée au pétrole comme aux produits vivriers. La circulation est rendue impossible entre Pondichéry et les communes enclavées, et les ressortissants français qui obtiennent des laissez-passer sont molestés. Le train qui relie Pondichéry à Madras est mis hors d'état de fonctionner régulièrement. Bref, le blocus total des Établissements est pratiquement réalisé. Bien mieux, l'Inde occupe purement et simplement dans les premiers jours d'avril deux communes françaises, Nettapacom et Mannadipeth.

Pour soutenir ses ressortissants, la France dépense un immense effort. Les navires pétroliers affluent. Malgré tout, la situation est intenable. C'est dans ces circonstances, que le 14 mai 1954, s'ouvrent à Paris de nouvelles négociations avec l'Inde, menées du côté français par M. Maurice Schumann et du côté indien par MRK Nehru, secrétaire aux affaires extérieures de l'Inde.