Agonie et mort des Établissements Français dans l'Inde

Chantages indiens pour les autres villes

Pour Chandernagor, indéniablement pro-indien, l'affaire s'était réglée sans difficulté majeure. Il ne devait pas en être de même pour les autres Établissements et c'est ainsi que le référendum décidé (à la demande de l'Inde répétons-le) pour le 11 décembre 1949, n'eut jamais lieu.

L'Inde en effet, dès ce moment, entreprit d'exercer un véritable chantage pour obtenir l'abandon pur et simple des autres villes, de crainte sans doute d'un référendum ou peu convaincant ou négatif, sans tenir compte du fait que la Constitution française ne permettrait pas un tel abandon. Certains de ses arguments eussent été plus convaincants si elle n'avait pas accepté le principe de référendum pour Chandernagor, où elle était sûre de gagner. C'est ainsi qu'elle fit valoir un argument psychologique d'une vérité certaine : le référendum, procédure occidentale, ne peut être transplanté sous les tropiques. Les indiens n'aiment pas répondre catégoriquement par oui et par non. Un de leurs proverbes dit même qu'il y a toujours du « non » dans le « oui » et du « oui » dans le « non ». Il est certain que des négociations directes vers une espèce de « voie moyenne » eussent été préférables. Cette « voie moyenne » répondait, nous l'avons indiqué, au vœu des populations qui aspiraient, prises entre deux patriotismes simultanés, à un système de double appartenance. Notre cartésianisme juridique nous a peut-être empêché de nous aventurer assez avant dans cette voie, comme les pressions, conjointes autant que contradictoires, de nos partis de « gauche » pour qui le maintien de notre drapeau en Coromandel et en Malabar était une sorte de non-sens scandaleux, et de nos partis « de droite » dont le clairvoyance était annihilée par un nationalisme archaïque et déroulédien. Mais surtout l'Union indienne n'a pas voulu d'autre issue que l'abandon.

Quoi qu'il en soit, à peine le référendum fixé au 11 décembre 1949, l'Inde fit tout pour en empêcher la réalisation. Elle multiplia sans cesse les difficultés et à peine en avions-nous aplani une par une concession, qu'elle en soulevait une autre. Sa première offensive eut lieu au sujet des observateurs neutres qui devaient contrôler le scrutin. Une liste de douze noms avait été établie par les soins de M. Guerrero, vice-président de la Cour internationale de justice. Il était entendu que, sur ces douze noms, l'Inde en retiendrait huit sur lesquels elle donnerait son accord. Ainsi fut-il fait, mais aussitôt le gouvernement indien demanda que quatre « Asiatiques » fussent ajoutés à la liste. Un compromis intervint quand même. Sur ces quatre, deux furent proposés par l'Inde et deux par la France.

Malheureusement ces observateurs ne vinrent jamais.

En effet, l'Inde soulevait aussitôt un autre problème : celui de la réunion des listes électorales, sur quoi se greffaient des exigences étonnantes : amnistie pour les condamnés prétendus « politiques » de Mahé, interdiction à tout fonctionnaire des Établissements de participer à la « campagne électorale », détermination enfin du quorum nécessaire pour valider le référendum.

Autant de pourparlers interminables sur lesquels il serait fastidieux d'insister. Soulignons seulement, avec un des meilleurs historiens de cette affaire, M. Lambezat, que la France est allée très loin dans la voie des concessions et qu'il n'a pas dépendu d'elle que le référendum eût lieu.

Entre temps, les Établissements étaient soumis à une véritable guerre des nerfs. Déjà, en octobre 1948, à Mahé, un grave incident s'était produit et l'administrateur français et sa famille avaient été purement et simplement « kidnappés » par les Indiens. Nous avons déjà parlé du blocus. La France, au prix d'un gros effort, ayant d'une part réussi à ravitailler Pondichéry et Karikal par la mer, d'autre part « le rétablissement des ports francs de Pondichéry et de Karikal ayant permis, à certains, des trafics particulièrement fructueux », en 1950 l'étreinte fut desserrée. Mais parallèlement, en octobre 1950,  le gouvernement indien dénonçait, par « un acte unilatéral et juridiquement peu défendable », les vieilles conventions de 1815 et 1817 relatives à la gabelle : le résultat pratique en était la suppression pour les Établissements d'une ressource fixe de près de 500 000 roupies (à 73,50 F). La chose fut annoncée au moment où l'assemblée représentative venait d'établir (non sans peine) le budget de 1951.