Agonie et mort des Établissements Français dans l'Inde

Que contient l'accord de Pondichéry ?

En fait, que contient l'accord ainsi obtenu ? Il n'a pas été officiellement publié, mais, en réponse à la question orale déjà citée de M. Boisdon, le ministre le la France d'outre-mer, M. Buron, en a donné le résumé suivant qui en reprend presque mot pour mot les stipulations :

« Il contient des clauses relatives aux statuts politiques et administratif des anciens Établissements. Le gouvernement de l'Inde s'engage à respecter le statut spécial des Établissements à leur maintenir le bénéfice des institutions démocratiques que notre présence a permis de promouvoir : assemblées territoriales, assemblées municipales, etc...

« Il comporte, d'autre part, des clauses relatives aux fonctionnaires et aux agents des cadres locaux ; l'Union indienne s'engage à respecter leurs statuts en matière d'émoluments, de congés, de pensions, de régime disciplinaire ; elle prend à sa charge les pensions, allocations et subventions payées sur les fonds du territoire. Nous conservons, nous, la seule charge des pensions qui incombaient à l'État. L'accord renferme des clauses relatives aux institutions publiques et privées de bienfaisance ; l'Union indienne s'engage à se substituer à nous dans le concours à apporter aux institutions publiques ; elle garantit sans condition le maintien du régime actuel des institutions privées et de l'aide qui leur est assurée ; les biens affectés au culte sont transférés aux autorités religieuses qui les utilisent.

«  Les clauses économiques comportent la liberté d'établissement, de commerce et de circulation, la faculté absolue de rapatriement des capitaux dans des délais très longs qui éviteront les inconvénients d'une liquidation hâtive, la garantie d'approvisionnement en matières premières non discriminatoires pour les usines situées sur le territoire des anciens comptoirs – cela vise le cas des trois usines textiles - ; figurent également la clause de la nation la plus favorisée, le rachat des usines électriques, le retrait de la monnaie dans des conditions normales.

« L'accord comporte, enfin, des clauses culturelles, auxquelles, je le sais, votre Assemblée s'est particulièrement intéressée dans une discussion du mois d'août dernier ; garantie du maintien des établissements privés d'enseignement qui conservent la possibilité de dispenser un enseignement en français ; maintien des établissements publics français d'ordre scientifique ou culturel ; garantie que ces établissements bénéficieront des mêmes subventions de la part du territoire ; entière latitude laissée au gouvernement français de recruter du personnel, d'organiser les programmes et les examens ; la propriété des locaux est enfin conservée ; engagement est pris par l'Inde de souscrire à un régime d'équivalence en matière de diplômes et de grades universitaires ; l'assurance est formellement donnée de faciliter l'établissement à Pondichéry d'un Institut français d'enseignement de la civilisation française et d'un Institut scientifique pour la recherche scientifique et ethnographique ; régime transitoire, enfin, garantissant la protection des intérêts des étudiants de l'école de médecine et de l'école de droit de Pondichéry ; maintien de l'hôpital français, dont l'Inde assumera les frais, mais pour lequel nous continuerons à fournir les praticiens ; le français reste la langue officielle.11 Enfin, des clauses générales, c'est-à-dire, en fait, commission franco-indienne pour régler les différends pouvant se présenter et création d'un consulat à Pondichéry. »

Malheureusement plus d'un an a passé. Un rideau assez épais est tombé sur les Établissements français de l'Inde, dont nul ne sait s'il est de fer ou de bambou. Les nouvelles qui nous en parviennent de temps à autre ne sont pas pour nous satisfaire et la façon dont l'Union indienne entend l'application des accords appelle au moins des réserves. Les citoyens des Établissements sont d'ailleurs assez nombreux à les quitter, au point que le gouvernement est en train de prendre des textes pour permettre leur reclassement (ainsi en faveur des médecins et sages-femmes).

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Telle est l'histoire, assez triste, des dix dernières années de l'Inde française. Que deviendra-t-elle ? Tout près de Karikal, on voit les restes d'une ancienne enclave danoise : Trinquebar. Ce ne sont que monuments écroulés, églises délitées. Les palais du XVIIe siècle abritent derrière leurs façades sans toit des « bidonvilles ». Certes si les accords sont loyalement appliqués, Pondichéry peut échapper à ce sort, et sa seule chance de survie est encore française.

On ne peut songer sans mélancolie à cette « sous-préfecture tropicale », avec ses rues rectilignes, sa grand-place et ses beaux édifices à colonnades. L'histoire de Dupleix, de Bussy, de Lally-Tollendal, de Suffren, mais aussi l'histoire plus moderne des derniers investissements que nous avions réalisés - une centrale électrique, entre autres – tout cela est aboli. Certes, avec leurs trois usines textiles, les Établissements français de l'Inde n'offraient pas de possibilités économiques. Ils avaient pour nous un autre sens.

Surtout, chaque fois qu'est violé le droit, le patrimoine moral de l'humanité est amoindri : qu'un peuple à peine sorti de l'emprise coloniale mue son nationalisme en impérialisme est une autre cause de tristesse. L'Inde de Gandhi comprendra-t-elle qu'en s'agrandissant par la force, elle a, prenant nos comptoirs, beaucoup plus perdu que nous ?

 


11 Malheureusement non à titre définitif, car l'article 34 de l'accord dispose que le français restera langue officielle « aussi longtemps que les représentants élus de la population n'auront pas pris des dispositions différentes ». On imagine sans peine quelles dispositions l'Union indienne leur fera prendre... si ce n'est déjà fait.