Sous le signe de l'Islam, le Moyen-Orient trouvera-t-il son unité ?
Efforts pour une unité dynamique
Aujourd'hui encore, l'unité arabe n'a pas progressé, non plus que les projets de Grande Syrie. Pourtant, parallèlement aux tentatives d'ordre institutionnel que nous avons relatées, tous les efforts ont été dépensés pour donner aux États du Moyen-Orient ce que j’appellerais une unité dynamique, c'est-à-dire des buts communs. L'étranglement du naissant Israël fut le premier de ces buts. Un temps il réalisa l'accord. Tous étaient alliés pour empêcher que naisse et que progresse cette jeune Nation. Seulement les États arabes n'ont trouvé en commun que la défaite. A elle seule elle était capable d'éclater leur coalition. L'attitude du roi de Jordanie, plus soucieux d'annexer les districts arabes de la Palestine que de cohésion islamique allait achever de faire de la guerre contre Israël, premier but dynamique, une cause de division.
L'affaire d'Israël n'aura pourtant pas eu qu'un résultat négatif : elle a largement contribué à la conscience politique islamique. Nous en voulons comme témoignage cette exclamation du président de la Ligue Arabe, M. Chaudury Khalik uz Zaman9. « Comment les Musulmans du monde ne pourraient-ils rebâtir leur État islamique, seul capable de les sauver de la destruction et de la ruine, alors que le judaïsme mondial peut penser à l'établissement d'un État d'Israël au cœur du Moyen-Orient ? »
Après l'aventure palestinienne les promoteurs de l'unité arabe ont cherché d'autres catalyseurs. Ils les ont trouvé dans une xénophobie agressive orientée tour à tour contre la France et contre l'Angleterre.
Contre la France d'abord. Le Maghreb est là, où pour les États arabes, il serait bien tentant de s'imposer. Désir de rendre indépendants tous les Musulmans ? Peut-être. Mais comment ne pas remarquer « qu'en s'installant dans le Maghreb, les États arabes s’installeraient comme au cœur de l'Europe et décupleraient leur influence politique »10. A peine arrivé au pouvoir Nahas Pacha a exalté « la nécessité pour l’Égypte d'avoir une grande politique africaine et de s'y préparer ». On connait le développement de cette politique avec la plainte égyptienne à l'ONU contre l'attitude de la France au Maroc.
La Grande-Bretagne a largement contribué à cette orientation nouvelle. Elle prête les quelques quinze heures hebdomadaires de la radio de Chypre à une propagande francophobe dont l'objet est trop visible. On poursuit la politique si brillamment amorcée par le Général Spears au mois de novembre 1943. En Afrique du Nord, les agents de l'Intelligence Service (comme d'ailleurs au Tchad) appuient les nationalistes locaux. Un moment, après la signature du Pacte de Dunkerque, ces activités avaient paru se ralentir. Cet heureux apaisement n'a guère duré qu'un an.
C'est donc un curieux retour des choses qui fait désormais de l'Angleterre le pays d'Occident contre lequel on s'acharne le plus au Moyen-Orient. On connaît les évènements de l'Iran d'abord, puis l’Égypte...
9 Chaudury Khalik uz Zanan, My Conception of a Qor'Anic or Islamic State, Islamic Review, January 1950, pp. 22-24
10 Pierre Solan, L'impérialisme africain de la Ligue Arabe, Information et Documentation, 5 mai 1951