Le sens des heures

Des heures majeures : MATINES, LAUDES, VÊPRES.

Le sens est suffisamment indiqué par un élément dominant.

L'INVITATOIRE d'où la louange nocturne flue et s'épanouit

le BENEDICTUS et le MAGNIFICAT, les deux cantiques de l'Incarnation, vers lesquels tendent de tout leur élan les deux sacrifices de louange et d'encens, celui du matin et celui du soir.

C'est donc en méditant ces textes que l'on peut mieux s'introduire dans la prière de l'église ; ce sont des centres vitaux de louange du Corps mystique.

La référence aux hymnes surtout en ce qui concerne l'heure de VÊPRES, complète et illustre utilement ce travail.

Quant aux petites heures, leur caractère organique est beaucoup moins accusé, encore que chacune d'elles ait sa tonalité bien propre.

PRIMES et COMPLIES qui se répondent à la façon de LAUDES et  VÊPRES, marquant la composition la plus complexe ; ce sont les heures les moins explicitement rattachées au sacrifice eucharistique.

Mais TIERCE, SEXTE et NONE dont la structure est élémentaire, sont clairement caractérisées par leurs hymnes.

 

Le sens des heures

Prél. Le cycle de la lumière créée et le cycle de la lumière éternelle

MATINES

1- Présence du roi

2- envahir le visage de Dieu

3- jubilation du salut

4- les quatre dimensions du créé

5- le pasteur

6- entrer dans Ses chemins

7- invitation au repos

LAUDES ET  VÊPRES

1- sanctification de l'autel

2- sanctification de l'humanité

3- le BENEDICTUS, cantique du désir

4- le MAGNIFICAT, cantique de la charité

5- appropriation du MAGNIFICAT

6- la création à l'heure de vêpres

7- chant du Pater

8- pacificans per sanguinem crucis

PRIME et COMPLIES

1- loi du travail

2- le christ et la matière

3- les heures de lutte

4- organisation de prime

5- l'ascèse

6- mémoire des héros de la race

7- charité fraternelle

8- Complies et le souci du salut

9- l'heure des anges

10- être comme des fils.

DIEU ayant créé l'Homme successif reprend dans l'œuvre de Sa divine liturgie le mode cyclique qui lui a servi aussi à accomplir les desseins de sa Rédemption. La vie hiératique de l'Église se déroule ainsi suivant le jeu périodique de l'Ombre et de la Lumière, du Travail et du Repos, des Saisons et de l'Histoire. C'est le premier qui nous intéresse ici en raison de son insertion particulièrement intime dans l'Office.

LUMIÈRE INCIRCONCRITE : tel est le beau nom que St Grégoire donne à DIEU. Mais telle est la transcendance divine que pour avoir une idée de cette pure Splendeur l'homme doit commencer par nier ou plus exactement renier toute clarté visible ou créée. C'est dans la Nuit que sera premièrement atteinte la lumière divine. D'où le caractère propre de Contemplation que revêt l'office de Matines. L'Ombre, la Solitude, le Silence : c'est ici qu'il faut prendre contact avec la Lumière, la Trinité, le Verbe. La pensée nous y rejoint sans cesse de ces grandes nuits de l'Histoire où DIEU s'est complu à entreprendre les œuvres de Sa Puissance : Nuit du néant où surgit le Monde, espoir de l'Incarnation ; Nuit de Noël où parut l'Humanité de DIEU ; Nuit de Pâques qui consomme le Sacerdoce du Jésus-Christ ; Nuit dernière où Il reviendra : « Alors, dans une nuit orageuse et obscure, le ciel s'ouvrira par le milieu, afin que la lumière de DIEU qui en descend apparaisse sur toute la terre comme un éclair... Cette nuit nous la célébrons par une Vigile pour attendre la venue du Roi, notre DIEU : de cette célébration de la nuit il existe une double raison, Il y est ressuscité après avoir souffert, et, plus tard Il doit y recevoir l'empire de la Terre. » (Lactance) Ajoutons-y l'obéissance au précepte : Veillez et priez !

Mais la lumière, la Parole, le Fils s'est incarné : EMMANUEL, DIEU avec nous jusqu'à la fin des temps. Et de cette présence qui est pratiquement l'Église le premier gage est le Sacrifice de Son Corps et de Son Sang sur l'autel chaque matin. Encadrant la Messe remarquons maintenant ces deux offices de Louange : Laudes et Vêpres, heures vraiment eucharistiques au double sens du mot : Actions de grâces et prolongements du Sacrement du Corps du Christ. C'est la réplique à l'injonction du Seigneur : « Quand vous prierez dites : Père, que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite ! »

donnez-nous notre pain, pardonnez-nous, délivreZ-nous du mal !  Tel est le sens profond des petites heures et la résonance en elles de l'enseignement évangélique. Car l'Église non moins que de louer DIEU, et sachant que c'est la première manière de le louer, se préoccupe de nous SAUVER.

Essayons maintenant de pénétrer le sens de l'Office nocturne, en méditant l'Invitatoire qui est en comme la solennelle préface.

Matines

1) La nuit est le temps de notre liberté. - Tout le jour il a fallu travailler, loi de nature qui nous configure en un sens au divin artiste qu'est le Père, au divin ouvrier qu'est le Verbe, surtout le Verbe incarné dans la consécration qu'il donne à Nazareth au travail des mains humaines, à l'art même et à l'activité qui est le Saint-Esprit – loi cependant qui par le fait de notre déchéance nous mécanise, nous sclérose, nous enroutine et nous blase, pour peu que nous ne réagissions pas par un perpétuel effort d'amour et de lumière. Mais voici l'ombre, voici la nuit, voici le temps de notre liberté.

Non point cette liberté qui consiste à suivre le caprice, mais cette autre, la liberté des enfants, qui est la liberté même de la Grâce (en un sens ces mots : Grâce et liberté sont synonymes  - la Grâce ne va-t-elle pas contre tout le convenu, le prévu, le mécanique, l'habituel ?)  la souveraine et pure exaltation d'un être pour lequel DIEU est le climat  normal et vivre consiste avant tout à s'ébattre dans la Lumière, la Beauté et la Charité des Trois Personnes – pour qui l'amour et tout ce qui en procède est comme le jeu sous le regard de son père, d'un enfant premier-né.

Or ce Père est encore notre Roi, et c'est sous la forme de l'adoration que le tribut de piété filiale lui est premièrement rendu. REGEM CUI OMNIA VIVUNT ? VENITE ADOREMUS. Rien mieux que cet invitatoire de l'Office des morts (les morts qui sont les survivants) ne nous infuse le sens de la Présence des DIEU.  Souveraine Charité DIEU est aussi Souveraine Noblesse, Souveraine Beauté. Fils de DIEU il s'agit de transposer à l'ordre surnaturel tout ce qu'il y a de plus pur, de plus parfait dans l'ordre des relations humaines. Il y a une distinction, une civilité, une COURTOISIE du climat de la Grâce : elle nous est donnée par le don de Crainte de DIEU qui n'est rien moins qu'une terreur, en réalité une muette et suprême admiration, le sens de la Grandeur ; c'est le don de  Crainte de DIEU qui met en nous la conscience de notre dignité, ce Sacerdoce royal dont parlait Saint Pierre à ses fidèles, et dont l'exercice solennel dans l'Église est justement la Liturgie.

Et presque tous les Offices des Saints c'est à cette formule qu'ils nous ramènent : Venez, adorons le Roi...

 

2) « Venez, poussons des cris de joie en l'honneur de Yahweh ! (ou, comme le dit avec une admirable concision notre texte latin exultons au Seigneur ! ) Acclamons le rocher de notre Salut ! »

Et ceci qui est strictement intraduisible à force de plénitude : PRAEOCCUPEMUS FACIEM EJUS IN CONFESSIONE ! Praeoccupemus : il s'agit au sens propre d'envahir, et d'envahir quel domaine ? le Visage de DIEU.

Toute cette première partie de l'Invitatoire est un appel à la louange divine, et comment louer ce qu'on ne connaît pas ? DIEU est là. Il nous habite, mails il faut en prendre conscience. Essayons de l'atteindre, à tâtons s'il le faut selon le précepte de St Paul. Véritable expédition en DIEU, pèlerinage dans les perfections divines. Mais le contemplatif s'aperçoit vite que DIEU n'est qu'un visage. Il n'a pas de corps, Il n'est qu'esprit. Il n'est qu'un regard pour ainsi dire. Et ce regard comment le rencontrerons-nous ? David répond par la louange : IN CONFESSIONE. Nul en effet ne voit le Père si ce n'est le Fils, et qu'est-ce que le Fils sinon la Louange subsistante ? Quel autre chemin suivre pour entrer dans la communion du regard divin sinon celui de l'assimilation progressive au Fils par l'exercice de cette louange dont Il est le suprême exemplaire.

PRAECCCUPEMUS FACIEM EJUS IN CONFESSIONE – Envahissons le visage de DIEU par la louange – Louange et contemplation sont intimement mêlées, et affectées d'une mutuelle efficience. Point d'intelligence si vous ne commencez pour par L'aimer et par Le louer. Point de louange si vous n'acceptez pas de Le voir, de Le  sentir, de Le connaître – l'une et l'autre d'ailleurs sont elles autre chose que le petit commencement terrestre de notre béatitude éternelle. Louange et contemplation nous n'aurons pas besoin de passer de l'une à l'autre elle ne seront alors qu'une seule chose. Saint Augustin quand il essaie de nous faire entrevoir le Paradis ne parle pas autrement : VACABIMUS ET VIDEBIMUS, VIDEBIMUS ET AMABIMUS, AMABIMUS ET LAUDAMUS – Vision qui par l'amour flue en louange. Mais ce qui résume peut-être le mieux tout cela, c'est cette grande Liberté (VACABIMUS) dont nous parlions tout à l'heure. Spontanéité divine, celle du Verbe lorsqu'il jaillit de son Père et se jette dans ses bras dans cette effusion qui est le Saint-Esprit.

 

3) EXULTEMUS, JUBILEMUS. Le psalmiste et avec lui l'Église ne se tient plus de  joie, songeant qu'il est là le Salut. La grâce offerte au début des temps, la grâce gagnée sur la Croix, la grâce répandue et montant comme une sève dans le Corps mystique, la grâce éclatant en fleur dans la vision béatifique – Et songer qu'il peut y avoir en des cœurs d'hommes doute et dispute à ce sujet, qu'on peut hésiter s'il n'est pas meilleur de se pencher vers d'autres biens, des biens créés ! Alors l'Église se prend à considérer le domaine du Roi, et à l'appel à la contemplation qui ouvrait l'Invitatoire succède une méditation sur l'œuvre des mains divines.

4) « Car c'est un grand Roi que le Seigneur, un grand Roi au-dessus de tous les dieux. Il tient dans sa main les extrémités de la terre et les cimes des montagnes sont à LUI. À LUI appartient la mer car c'est lui qui la faite ; la terre aussi : ses mains l'ont formée ! »

Nous est-il permis par un rapprochement tout libre de textes et pour une meilleure intelligence spirituelle de rappeler une parole de St Paul aux Éphésiens : « Je fléchis les genoux devant le Père... afin que le Christ habite dans vos cœurs par la Foi, de sorte que... vous deveniez capables de comprendre avec tous les Saints quelle est la largeur, et la longueur, la sublimité et la profondeur même de connaître l'Amour du Christ ; en sorte que vous soyez remplis de toute le plénitude de Dieu. » -QUAE SIT LATITUDO ET LONGITUDO, ET SUBLIMITAS ET PROFONDUM... UT IMPLEAMINI IN OMNEM PLANITUDINEM DEI. Eph. III, 14-19.

  Ici c'est du Christ même et de son amour qu'il est question. Mais l'amour du Christ – le Sacré Cœur  - est-il autre chose que l'éternelle Charité de DIEU embrasant ce cœur d'homme auquel le Verbe s'est personnellement uni ?

« On est fondé, écrit Jacques Maritain, à penser que les quatre dimensions dont parle St Paul ne concernent pas seulement la sphère de la contemplation des Saints, mais d'une façon générale l'organisation et la structure fondamentale des choses de l'esprit, dans l'ordre naturel et dans l'ordre surnaturel. » Il nous semble à notre tour reconnaître ici dans les paroles de David un écho atteignant jusqu'au cœur de l'ordre matériel et cosmique de cet ordre divin qui s'achève dans la grâce et l'Incarnation, parce que celui qui a fait ceci est aussi celui qui a fait cela. N'est-il pas émouvant et stimulant pour l'intelligence de la Création, qu'ayant envisagé dans tout son ambitus l'œuvre des mains divines, après les cimes des montagnes et l'immensité de la mer, le psalmiste s’arrête à cette quatrième dimension, à ce PROFONDUM mystérieux qui est l’abîme du cœur humain, et qu'à ce spectacle il s'arrête pour se prosterner, adorer et pleurer : « Venez, prosternons-nous, et adorons, PLEURONS devant le Seigneur qui nous a créés. »

Les maîtres spirituels formés par le St Esprit ont toujours rapproché le Don de Science, celui des dons du St esprit qui se rapporte à la connaissance des choses créées, de la Béatitude et du Don des larmes – Bienheureux, dit Jésus, ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés ! - Nous avons ainsi bien lieu de penser que le détachement des choses créées, nécessaire au principe de la Contemplation se joint à un grand Amour pour elles en vertu duquel, connues dans leur misère et leur grandeur, leur destination éternelle dégagée de leur caducité, elles provoquent en nous les larmes de la Science du St Esprit.

« Pleurons devant le Seigneur qui nous a créés, car le Seigneur est notre DIEU et nous sommes les peuples de Son pâturage, les brebis que Sa Main conduit. »

5) C'est l'instant où l'Église qui a commencé par la Crainte de DIEU l'adoration de Sa Beauté et par une grande joie, et qui a poursuivi dans la considération des œuvres de Sa puissance, vient au terme de la tendresse. Piété de David, piété de l'Église répondant à la tendresse de Jésus qui se nommait lui aussi le Pasteur. Tendresse du mystère de l'Incarnation et de l'Humanité du Christ. Nous remarquons une fois de plus combien, dès qu'approche le contact de cette humanité et de ses mystères s'insinue en nous une charité plus fraternelle que notre amour, une amitié vraiment d'homme à homme et qui nous introduit de plein pied au plus profond du cœur de DIEU.

 Pasteur du pâturage humain, il l'était en toute hypothèse, mais il a fallu pour que nous nous en rendissions compte qu'il prit chair et nous parlât, se fit notre nourriture par la médiation du pain, notre boisson enivrante, nous illuminât de l'éclat de ses paraboles et de sa doctrine. Alors en présence de cette créature qui est aussi et en même temps le Seigneur, qui réunit en lui tout ce qui a commencé et tout ce qui n'a pas eu de commencement, une émotion s'introduit en nous qui n'est plus de la chair, des larmes tombent sur ce pauvre monde qui sont les larmes du St Esprit, gémissement inénarrable de DIEU, soupirant au plus secret des cœurs humain le désir qu'a DIEU d'être accueilli, d'être aimé. Celui qui était tout à l'heure le Prince, le Roi des Rois, le Maître des montagnes et le Souverain de la mer, celui-ci, berger qui pleure une brebis perdue, se fait quémandeur d'un amour créé, d'un amour dont Il est lui-même le principe, revêt le vêtement humain de l'humilité dont lui seul dans Son éternité réalise la perfection, sollicite le petit mouvement d'adhésion qu'Il comblera, éveille la faim et la soif qu'il rêve de satisfaire, prépare tout ensemble le banquet qu'il désire d'un grand désir et souffle à l'oreille de l'homme l'Appel aux Noces. Que nous sommes loin de la Sagesse et de la Contemplation des philosophes ! C'est les simples et les pauvres qui sont des docteurs. Mon DIEU, je vous rends grâce, dit Jésus, d'avoir caché ces choses aux sages et aux prudents, et de les avoir révélées aux petits. Mon joug est doux et mon fardeau léger. Venez et vous trouverez le repos pour vos âmes – Le bon pasteur est là, et l'Évangile et l'Eucharistie. NOS AUTEM POPULUS EIUS ET OVES PASCUAE EIUS : mots qui réintroduisent dans notre contemplation le sens de l'accessible, du donné, du familier et du familial – Que dit le Bon Pasteur à toutes ces brebis pressées autour de lui pendant le temps de Son service, tout au long de l'OPUS DEI ? Il dit comme aux apôtres un jour : Mes tout-petits.

Ombre, solitude, silence, telle est cette nuit où nous avons entrepris de le louer. Mais le jour reviendra, ramenant avec lui son train d'activité, de bruit, de lumière criante. Pourtant DIEU n'en sera pas plus absent qu'Il ne l'était de cette nuit. Il ne cessera pas davantage de nous parler, de nous dire en Son Verbe et Son Fils les paroles qu'Il veut nous faire entendre, et qu'Il désire germer en nous sous forme de bonnes œuvres, intelligence, louange, obéissance, humilité. Et tandis que nous sommes rapprochés de LUI, pendant cette nuit sainte – SACRATISSIMO HUIUS DIEI TEMPORE – le Seigneur prend la parole plus haut : Prenez garde !

HODIE SI VOCEM EIUS AUDIERITIS NOLITE OBDURARE CORDA VESTRA. Brebis que Sa main conduit, AUJOURD'HUI puissiez-vous écouter Sa voix !

Et voici ce qu'Il dit : N'endurcissez pas vos cœurs comme aux jours de la provocation et de la tentation dans le désert où vos Pères m'ont tenté et m'ont éprouvé quoiqu'ils eussent vu mes œuvres. Pendant quarante ans J'ai été irrité contre cette génération et J'ai dit : C'est un peuple au cœur égaré. Ces hommes n'ont pas su comprendre mes desseins ! C'est pourquoi je fis ce serment dans Ma colère : Ils n'entreront pas dans mon repos !

Ces hommes n'ont pas su comprendre mes desseins... - Desseins de DIEU, mystère toujours neuf, indéchiffrable autrement que par la foi nue (ou par la candeur du regard des Anges) c'est tous les jours qu'ils nous posent des problèmes si nous n'avons pas mis au principe l'obéissance et l'humilité. Et voici que dans cette nuit le Seigneur nous dit : attention, AUJOURD'HUI puissiez-vous écouter Ma voix !

Il y aura dans cette journée que la prière nocturne commande, prépare et féconde, des propositions divines qui seront faites, des avances. Il parlera. Mais si le silence est divin, ce Silence où éclot le Verbe, vous a quittés, entendrez-vous ? Peuple au cœur dur ! Et quelle sera cette parole ? L'invite à une adhésion nouvelle à Sa volonté, le signal d'un acte d'amour, caché, bien secret, au cœur de quelque acte banal. Prêtez l'oreille, quel est-il ?

7) Il faudrait aussi méditer sur cette menace qui clôt le psaume Invitatoire : Ils n'entreront pas dans Mon repos. Le Repos, la PAX bénédictine, c'est la grande promesse et c'est aussi pour ceux qui le manquent la grande privation, Le grand abandonnement divin à cette nuit de la Foi où nous sommes invités à opérer tout le jour elle est le lieu d'habitation en ce monde de la Paix qui est le Christ lui-même et qui fleurira un jour dans la Vision béatifique. Il s'agit de savoir si notre désir va à devenir des enfants de DIEU, c'est à dire selon la béatitude septième des amateurs du silence où l'on entend DIEU, de l'ombre où cette admirable Lumière se laisse soupçonner, de la solitude où s'établit le commerce d'amitié avec les Trois Personnes, des PACIFIQUES.

Laudes et Vêpres

1) Il importe de rappeler que premièrement le rite dans l'office solennel accompagne au chœur le chant du BENEDICTUS et du MAGNIFICAT. L'encensement, le sacrifice déencens, rite qui dans la liturgie mosaïque constituait l'office du matin et du soir, se transfigure ici du double fait de l'objet auquel il s'adresse et du chant qui l'accompagne. Notons seulement qu'au témoignage de l’Épître aux Hébreux et de toute la primitive tradition chrétienne, l'autel représente le Corps du Christ, Heb, XIII, 10. Comment aussi ne pas rappeler cet autel de l'Apocalypse qui prononce lui-même la formule définitive : C'en est fait. Cet autel, le célébrant à la messe le baise chaque fois qu'il doit souhaiter aux fidèles et participants la divine compagnie par le Dominus vobiscum. Il est exactement le témoin visible de l'humanité du Christ invisiblement présente dans le sacrement eucharistique. Et c'est à cette humanité que va l'encens, de même que c'est à son contact spirituel que le verbum cordis, la parole de notre cœur, prend sa valeur filiale et divine pour être Sa propre louange. Mais quel relief donne à notre culte l'appropriation de ces deux cantiques qui, l'un vers l'aurore, au temps de la Promesse et de l'Attente, l'autre sur le soir, dans la paix de l'accomplissement, accompagnent cet encensement où dans beaucoup de cas le remplacent : deux cantiques que nous pouvons appeler vraiment les deux cantiques de l'Incarnation, émanés des lèvres saintes de Zacharie, l'héritier des patriarches et des prophètes, le Père du Précurseur, et de Marie, la femme nouvelle, l'Immaculée Mère de la nouvelle race et du divin Adam.

2) On se souvient comment, selon le récit de St Luc, le prêtre Zacharie, le jour où il lui fut donné, selon l'ordre de sa classe, et en vertu du tirage au sort, d'offrir le sacrifice de l'encens, reçut dans le Sanctuaire, par le ministère de l'Archange Gabriel, debout à droite de l'autel de l'encens, la révélation divine que sa femme, jusqu'alors stérile, lui donnerait un fils ; comment ayant douté dans son cœur il fut pour sa peine frappé de mutisme jusqu'au jour de l'accomplissement des promesses. « Quand les jours de son ministère furent accomplis, il s'en alla dans sa maison. Quelque temps après, Élisabeth, sa femme, conçut. »

L'être qui venait d'entrer dans le monde était Jean-Baptiste, le précurseur, l'Ami de l'Époux, la véritable articulation de l'ancienne Alliance et de la Nouvelle. N'avons-nous pas le droit de dire que dans cette heure, au déclin de la religion mosaïque, où le prêtre Zacharie dernier fleuron du Sacerdoce d'Israël reçoit la visite de l'Archange de l'Incarnation, le culte ancien a virtuellement pris fin, et a commencé le culte nouveau dans la célébration silencieuse d'un office de neuf mois, le premier chant de Laudes matinales avant que ne lève le soleil ?

C'est la fin de la nuit antique, car voici monter doucement et mystérieusement sur l'ombre du monde la blancheur d'une pureté sans tâche, et dans une bourgade de Galilée s'accomplit secrètement la parabole du Cantique. DIEU s'est trouvé sur terre un repos, une tente, et le Fils bientôt s'incarne au sein de Marie. Mais alors, secret et suggestif dessein du Père, s'accomplit ceci que la Mère du Sauveur s'en va, poussée à travers les montagnes, rendre visite à celle qui a conçu le Précurseur depuis tantôt six mois. Il se passe ici comme un sacrement qui nous permet de dire que Jean-Baptiste est le premier saint du Nouveau Testament plutôt que le dernier de l'Ancien ; car ne le voilà-t-il pas qui dans une minute inoubliable, spirituellement et sans contact de chair, mais par la suprême pointe de l'esprit, reçoit le baiser du Verbe incarné, en un tel transport d'allégresse qu'il en bondit au sein d'Élisabeth. Consécration du héraut et de l'Ami, consécration du Chant du matin, de la Voix du désert, par la mystérieuse présence et la silencieuse onction de l'humanité du Fils.

3) La visite de Marie se prolongea trois mois, et c'est seulement à la veille de la naissance de Jean qu'elle prit congé d'Élisabeth.

Chacun a présentes à l'esprit les circonstances miraculeuses de cette naissance, et comment lorsque Zacharie toujours muet imposa par écrit à l'enfant que l'on venait de circoncire le prénom de Jean, c'est à dire : Grâce de DIEU – ou encore : DIEU est la Grâce, ses lèvres s'ouvrirent, sa langue se délia, et rempli de l'Esprit Saint, il entonna le BENEDICTUS.

Le BENEDICTUS  est le chant d'action de grâce et de louange au Christ qui va venir. Mais c'est le chant d'un cœur béatifié et sanctifié par le sacrement de l'Humanité du Christ. Le BENEDICTUS est le cantique de Jean-Baptiste bien plus que celui de Zacharie. Sans doute il ne pouvait le proférer lui-même de ses lèvres charnelles pour des raisons plus profondes que son état de nouveau-né : pour cette raison que toute sa vie il devait être la Voix et non pas la Parole ; mais nous ne pouvons pas nous y tromper ; c'est Jean qui délie les lèvres de son père et lui confère le don de prophétie. C'est de la sainteté de Jean que jaillit cet hymne, cette explosion de joie, premier acte du ministère d'un homme qui, toute sa vie devait être un index tendu vers le jour du levant.

Ce texte en fait se passe aisément de commentaire, qui, en deux phrases prestigieuses, jette un pont (et ce pont n'est-il pas l'Incarnation même, le Christ n'est-il pas notre pontife ? ) entre la promesse et le Don, entre la Prophétie et l'accomplissement, la réalisation déjà presque secrètement complètement. Qu'il nous suffise ici de ne souligner le sens que prennent en fonction de l'Humanité du Christ, en fonction du Corps du Christ, que tout à l'heure la Messe va nous donner et auquel Laudes nous prépare, des expressions comme celle-ci : VISITAVIT, Il nous a visité, et d'une façon non moins admirable qu'Il a visité Jean-Baptiste, dans Son Corps et Son Sang, mystiquement immolés – TESTAMENTUM : ce mot qui signifie tant de choses, mais particulièrement Alliance et Gage – ce Gage qui est encore ce Corps et ce Sang, présents pour les siècles dans l'Arche d'Alliance de l'Église, tables plus vraiment écrites du doigt de DIEU que celles du Sinaï – et surtout le divin verset onzième : PER VISCERA MISERICORDIAE DEI NOSTRI IN QUIBUS VISITAVIT NOS ORIENS EX ALTO – Les entrailles de la Miséricorde de DIEU, quoi jamais pourrait nous en parler comme celui qui après avoir été la lumière venant d'en haut... sera tout à l'heure notre Pain et notre Vin ?

4) Le MAGNIFICAT est né du même cours d'événements qui a donné origine au BENEDICTUS, et il est encore moins besoin ici d'en rappeler les circonstances. À la différence de Zacharie, ou même de Jean-Baptiste ce n'est plus ici l'objet d'une promesse à accomplir ou d'une visite passée qui prend la parole pour dire l'espoir ou l'exultation de la proche attente ; c'est une âme en pleine possession de son Christ, qui Le proclame présent et qui Le donne. Le MAGNIFICAT eut pu tout aussi bien jaillir du dialogue avec l'Archange dans la petite maison de Nazareth et servir de conclusion à l'Annonciation. Il n'en est rien pourtant et cela nous est très significatif que le chant n'ait jailli des lèvres et du cœur de la Vierge qu'au temps où pour la première fois remplissant son rôle de Médiatrice elle le communiquait à Jean. Jean qui représente ici toute l'Humanité à racheter. Le MAGNIFICAT n'est plus un cri d'attente ; il n'est plus seulement le cri de la possession d'un cœur comblé ; il est le cri de la Charité qui se répand. Apparemment Marie parle beaucoup plus d'elle-même que Zacharie ne le faisait dans le BENEDICTUS. Mais de même que celle qui clamait : FECIT MIHI MAGNA QUI POTENS EST, atteignait au même instant le fond de l'humilité, de même elle est plus dépouillée qu'aucune créature celle que la pleine possession de son Christ et de son DIEU a vidée d'elle-même. Et quelle possession requiert plus totale emprise que celle d'un être qui prend chair de vous, quand encore cet être est le Verbe, la Sagesse et le FILS de DIEU.

5) Ainsi au terme ou vers le terme du jour, l'âme que la communion au Seigneur a le matin comblée, et qui a du laisser fluer d'elle-même sur les autres le trop plein de la Béatitude que son Seigneur lui conférait, éprouve-t-elle le besoin de récapituler ce jour en LUI. Oh ! Il ne s'agit de rien moins que d'un examen de conscience. Il aura son temps à l'heure de Complies. Il s'agit moins pour l'instant de pleurer ce que nous n'avons pas fait, ou que nous avons mal fait, que de tout reporter en lui, et le bon particulièrement qui prît en Lui sa source ; mais le mauvais aussi pour le brûler dans la fournaise de Son cœur.

Oblation du soir, SACRIFICIUM VESPERTINUM, sacrifice de Louange encore, mais louange d'un cœur comblé. Notre porte-parole ce n'est plus même Jean-Baptiste, quelle que soit sa grandeur, c'est la Vierge Mère, c'est Marie.

Encensement de l'autel sur le soir, de l'autel qui est le Christ, et si l'encens matériel et son nuage visible sont absents, nous avons du moins sur cet autel qui est Son Corps invisible et présent, et qui est en même temps un Feu ardent parce que l'habitacle de la Charité divine, du Saint-Esprit, à répandre notre louange et notre Amour, déjà transfigurés de lui. On voit assez combien le chant de Vêpres doit être sincère. Au matin, il s'agissait de Le désirer, d'En avoir soif vraiment avec cette intégrité des Saints de l'Ancien Testament, et d'ailleurs du Nouveau, avec le cœur de Jean-Baptiste. Ce soir il s'agit de l'avoir communiqué, de L'avoir répandu avec la Charité de Notre Dame. Tout cet ensemble qui partant de Laudes en passant par le Sacrifice Eucharistique vient aboutir au MAGNIFICAT de Vêpres est un itinéraire qui nous faisant revivre la totalité de Ses mystères, de son Attente et de Son Incarnation à Sa mort reproduite dans la Messe, à sa Résurrection  et à Son Ascension, à Sa Vie permanente dans l'Église, est une divine institution du Saint-Esprit pour nous transformer en Celui qui étant la Louange aussi, le FILS, et étant la Sagesse est aussi et surtout l'Amour.

6) Il y aurait de dire un mot des hymnes de Laudes, ce sont aussi les plus pures beautés de la prière de l'Église. Mais d'un autre côté leur esprit nous semble parfaitement exprimé par le visage de St Jean-Baptiste et par ce grand désir, cette grande joie de la Lumière qui va venir, déjà sensible au BENEDICTUS. Un hymne comme le SPLENDOR PATERNAE GLORIAE, du lundi est lumière par lui-même fécondant à souhait pour un cœur qui a une fois compris ce que c'était que de désirer le Christ, désirer de coopérer au Christ et à la grande œuvre filiale de l'Incarnation et de la Rédemption, et qui s'y exerce chaque jour. Il faut en dire autant, toute proportion gardée, des autres hymnes de la semaine.

Quant aux hymnes vespérales, elles revêtent une signification particulière du fait qu'elles sont consacrées au cours de la semaine à une sorte de grande révision des œuvres de la Création, selon l'ordre du livre de la Genèse. Il est bon pour l'homme en toute hypothèse de se retremper au souvenir de ses origines, et de repasser en son cœur les œuvres et les merveilles de DIEU. Pourquoi cette heure y est-elle par l'Église jugée plus propice ? Parce que le soir naît en nous le soupçon de la mort et l'attente de l'éternité, et parce que nous finirons où nous avons commencé, parce que toute l'histoire du monde n'est que l'histoire de la Création, que ce soir du sixième jour où nous avons été créés n'est pas encore fini, mais va chaque jour un peu plus vers sa fin et vers l'aube du septième, parce que l'Incarnation et la Rédemption que nous avons repassé tout au long des heures de l'Office est la Création de l'Homme immensément distendue et magnifiée et que c'est dans le Corps du Christ que toute cette Création se résume. Nous comprenons alors pourquoi dans la semaine chrétienne le Dimanche est à la fois commencement et  fin : Il conclut tout, mais il ouvre tout. Nous sommes venus de la Lumière mais nous allons à la Lumière. La Lumière c'est la première création de DIEU mais c'est aussi la dernière à l'heure où tous les corps ressuscités verront de leurs yeux DIEU même en Trois personnes.

7) Notons aussi le caractère particulièrement solennel que revêt dans l'Office bénédictin le PATER chanté aux seules heures eucharistiques. Que cela confirme le caractère que nous avons remarqué dans ces heures. - Notre Père : quel autre cri monte aux lèvres de l'Église quand elle reprend contact avec la Sainte Humanité du Fils – et puis : Donnez-nous aujourd'hui notre Pain !

8) L'hymne du Dimanche à Vêpres, ce bel hymne de la Lumière, ne recèle-t-il pas en lui comme une mélancolie, un retour plus pénible que nous ne le soupçonnions tout à l'heure sur la douleur et sur la mort ? Allons plus loin, nous nous apercevrons que c'est toute l'heure de Vêpres qui est empreinte de cette gravité, de ce sens de la douleur et du poids, d'une sorte de divine gène. Laudes : une sorte d'exultation adolescente, une jeunesse divinement légère à l'approche de la Lumière et de la Vie. Vêpres : plus de calme, de mesure est-on tenté de dire, et de l'attribuer au soir qui vient. J'y verrai surtout l'ombre portée de la Croix. Tout cela ne laisse pas d'être eucharistique, mais d'une eucharistie comme alourdie d'un poids divin. Le Sacrifice est passé par là. Marie, l'enfant, la petite fille de Juda, plus grave, parvenue à une maturité très supérieure à celle du prêtre Zacharie, probablement parce qu'elle a rencontré Siméon (je ne parle pas de l'instant historique du MAGNIFICAT) mais aussi et surtout parce que portant en elle le Poids de DIEU, elle est devenue l'Arche de l'alliance nouvelle, et qu'une Alliance se fait toujours dans le Sang.

Cependant quelque chose de tendre aussi et d'immensément doux s'est ajouté à l'allégresse du matin. On se rappelle ce capitule que l'Église ne se lasse pas de redire avec St Paul : BENEDICTUS DEUS ET PATER DEI NOSTRI ISU XTI, PATER MISERICORDIARUM ET DEUS TOTIUS CONSOLATIONIS, QUI CONSOLATUR NOS IN OMNI TRIBULATIONE NOSTRA !

Dirons nous que, comme Laudes était un salut et une louange à la Lumière qui va venir, Vêpres nous fait saluer et louer le soleil disparaissant, la Lumière qui va nous quitter, et que le déclin de cette Lumière met en nos âmes une certaine mélancolie ? Certes non ! Car le Christ est un soleil qui ne se couche pas. Et s'il nous faut chaque matin désirer le jour c'est pour une nouvelle étape, un nouveau voyage avec le Christ qui ne nous a pas quittés, un bond en avant du point où nous sommes parvenus et d'où nous n'avons pu rétrograder. La vie de l'Église ce n'est pas ce stérile circuit des astres matériels, c'est une héroïque et splendide marche en avant. Mais si le Christ-Chef dans Sa carrière humaine marcha lui-même à pas de géant / EXSULTAVIT UT GIGAS AD CURRENDAM VIAM..., il lui faut dans la croissance de Son Corps mystique se plier davantage à la faible nature, aux forces intermittentes des ses membres. Chaque soir il s'arrête et nous attend. Il est là pendant le sommeil, silencieux et caché. Au matin Il nous reprend par la main pour une divine course.

Je comparerais peut-être la Lumière propre de Vêpres à la clarté timide et étreignante pour notre cœur, de cette étoile Vesper, la première de toutes qui commence alors à se lever et nous fait pressentir dans son humilité une autre immense et splendide Lumière. Si grande que soit notre joie chrétienne chaque matin, si beaux que soient dès ici bas les mystères du Christ, qu'est-ce à côté de cet admirable Lumière que nous promet l'Esprit, qu'est-ce à côté du Royaume, à côté du Sein de DIEU et de la Vision de DIEU ? Et c'est pourquoi l'heure de Vêpres qui porte en elle le sceau et le poids de la Croix, sème en nous une joie plus profonde tout ensemble et moins sentie, parce qu'elle recèle la suggestion d'une brusque ouverture sur DIEU même et le pressentiment de notre Éternité.

Primes et Complies

1) Essayant de définir l'Office de nuit dans sa tonalité propre, nous avons cru pouvoir la dériver du psaume Invitatoire qui est premièrement une solennelle Invite à la Contemplation du Dieu Un et Trois, PRAEOCCUPEMUS FACIEM EIUS IN CONFESSIONNE... Contemplation qui s'épanouit aux jours de fête dans la louange trinitaire du TE DEUM. Les heures eucharistiques de Laudes et de Vêpres nous ont parues orientées par les deux Cantiques de l'Incarnation vers le Sacrifice qu'elles encadrent avec un accent tant soit peu différent, porté là sur l'exultation, ici sur cette Paix dont St Paul nous dit qu'elle germe de la Croix. Toutes ces heures sont de pures louanges où la considération de l'Homme n'intervient que comme tremplin pour une plus ample intelligence de la Majesté divine et un élan plus généreux vers la Charité d'en haut. Nous abordons avec Primes et Complies la méditation des heures des offices mineurs, dont l'accent et comme le climat nous font entrer pour ainsi dire dans un autre domaine, dans une autre part inéluctable de la vie chrétienne.

C'est que le chrétien n'a pas le droit de se désintéresser de la terre pour se livrer à une pure contemplation des choses d'en haut, et c'est aussi bien ce que laissent entendre déjà et la seconde partie de l'Invitatoire et le rappel de l'Humanité du Christ impliqué dans les heures eucharistiques. L'Homme, et donc le chrétien qui n'a pas le droit de se désintéresser de rien de ce qui est essentiel à l'Homme, l'Homme est par nature soumis à la loi de la lutte et du travail. Il y a une lutte pour la vie beaucoup plus profondément insérée au cœur de la vie humaine que ne pouvait le soupçonner Darwin, et il y a surtout un assujettissement au labeur antérieur et extérieur à la chute originelle que celle-ci n'a eu pour effet que de revêtir du manteau de la peine et de la douleur. Il est bon, il est nécessaire par conséquent de se préoccuper encore devant DIEU de cette nécessité, de cette part inéluctable de la vie. SINE ME NIHIL POTESTIS FACERE – rien et même pas accomplir convenablement une tâche temporelle, parce que, ces deux parts de la vie ne sont qu'apparemment des parts ; la même mission, le même élan de charité se poursuit dans la Contemplation et dans le travail, cela durement incarné dans ceci.

2) Aussi bien le Christ dans sa vie terrestre ne fut-Il pas également fidèle à l'une et à l'autre ? Trente ans de Contemplation secrète pour son Humanité se confondent avec trente ans de travail et de vie ouvrière – Et puis ce labeur apostolique de trois ans, les pieds usés sur les chemins de Palestine, FATIGATUS EX ITINERE nous livre St Jean, tandis qu'à Son âme de plus en plus la Rédemption, l'Oblation de louange, n’apparaît plus que signée d'une grande croix à l'horizon de plus en plus proche. - Et le grand travail de la Croix, au sens où l'on dit : une mère en travail, le monde à réenfanter par la douleur et par le Sang.

Et le Christ mystique suit le chemin du Christ historique, et au-delà du temps ne fait qu'un avec LUI, portant avec l'homme de Cyrène cette part de la Croix, derrière le Maître, que le Maître lui laisse à porter et qui est la moins lourde.

3) Aussi les petites heures du jour seront-elles toutes pleines de la pensée du Christ humain, assujetti naguère dans le chef, et toujours dans les membres, au poids de la matière et du monde. Le Christ qui travaille et meurt pour le Salut, le Christ qui lutte pour arracher au démon le chirographe de notre condamnation, lutte triomphale au Calvaire, et triomphale nous en sommes assurés à la fin des temps, mais toujours en cours, et que nous avons aussi à poursuivre. Au petit matin quand l'Église déjà, préludant au Sacrifice de la Messe, s'est unie au grand Offertoire permanent de Louange et de Joie, se retourne vers ses enfants qu'on imagine en quelque sorte muni chacun de son outil, comme les paysans attendant le départ pour les champs, et supplie DIEU en ce jour, par le Travail qui est encore chose divine, de les Sauver. Le soir, avant qu'ils ne prennent leur repos, elle les dépose tendrement comme des petits d'oiseaux sous la grande aile protectrice de DIEU qui a la tendresse d'une mère, parce qu'il y en a Un dans l'ombre qui rôde pour les dévorer.

4) La composition de l'heure de Prime est beaucoup moins homogène, beaucoup moins vigoureusement centrée que les autres offices. Non seulement il n'y a rien qui serve de centre d'effusion comme l'Invitatoire, ou de centre d'attraction comme le BENEDICTUS et le MAGNIFICAT mais on y peut remarquer un certain disparate qu'on ne retrouve pas dans les autres petites heures. Aussi bien, même du point de vue historique, savons-nous que cet office s'est constitué de plusieurs morceaux dont la distinction, dans l'état actuel encore, n'est pas malaisée à faire : office de la première heure, prières pour le travail, office capitulaire et proprement monastique dont la lecture du Martyrologe et l'oraison qui la suit sont les plus importants témoins – il nous suffit que tout cela pourtant soit bien un, se rattache et se rassemble bien par une préoccupation commune : l'Affaire du Salut.

5) Prime représente d'abord à un titre tout particulier dans l'Office l'ASCESE, l'effort de redressement, de modération, répression que l'homme doit exercer sur lui-même, pour que ce qui est inférieur en lui ne prenne pas le pas sur ce qui est supérieur, et que la part de lui-même la moins ordonnée à la fin ultime de sa nature ne fasse pas la loi aux opérations en lui de la Grâce et de dons du Saint-Esprit. L'ascèse est l'exercice pratique et raisonné par l'effort des vertus morales, exercice préalable à tout autre, requis par la vocation d'un être dont la vie en toute hypothèse est ordonnée vers la fréquentation et la fruition des choses divines. Nous remarquions à propos du Christ combien en Lui les réalités d'en haut s'étaient vigoureusement, pleinièrement incarnées et combien le Verbe par son assomption de la nature humaine avait pris possession de tout le créé. Il faut marquer maintenant combien l'effort de montée vers DIEU de toute cette lourde matière, de cette chair et de ce sang nécessite et comporte de purification, de consomption de toutes les scories par un feu qui n'est autre que la charité. Car pour bien établir les choses en leur ordre il faut remarquer que si l'ascèse a pour but de permettre dans la Contemplation l'exercice de la charité, cette charité est déjà présupposée à la base. Car en vertu de quelle attirance l'Homme tenterait-il de se délivrer de ce qui l'attire vers en bas, sinon en vertu d'un souffle qui le traverse et d'une séduction sur lui des choses divines qui est le premier fruit de la charité ? Dynamisme de la Grâce qui est aussi son mystère propre. Et comme aux deux extrémités nous trouvons la Grâce, aux deux extrémités nous trouvons le Christ. Ici au terme le Christ Louange, l'adhésion vivante et personnelle au Père dans l'effusion de l'Esprit – Ici au terme le Christ  Humanité, toute Splendeur, toute Beauté, toute douceur, mais portant la croix pesante et glorieuse, les membres et le cœur scellés des plaies de Son Sang.

L'hymne de Prime est un véritable programme d'ascèse chrétienne. Le but en est précisément indiqué dès les premiers versets : DEUM PRECEMUR SUPPLICES UT IN DIURNIS ACTIBUS NON SERVET A NOCENTIBUS. Il s'agit d'éviter le mal (le seul mal, le mal de la volonté) dans les actes du jour. Prime est une prière de précaution et de sauvegarde ; c'est la prière même au sens que ce mot conserve, malheureusement isolé, chez beaucoup de chrétiens dont l'appétit insuffisant ne va pas jusqu'à désirer commencer ici bas leur béatitude. Et l'Église de préciser à ses enfants les principaux dangers qu'ils courent dans le flux bruyant de la vie humaine : l'horreur des constatations, les disputes, tendance de la parole humaine lorsque elle ne connaît pas le frein du divin silence, silence aimé parce que c'est dans son sein que naît le Verbe – et cette concupiscence des yeux qui est le goût de la possession des choses vaines, goût si spontané chez celui que la Saveur de DIEU n'emplit point – l'amertume du cœur qui est proprement la troisième concupiscence, cet orgueil de la vie dont St Jean nous parle comme d'un des trois fleuves infernaux qui prirent source dans le fruit défendu – enfin la concupiscence de la chair.

Ce qu'il y a de véritablement instructif dans la Sagesse de l'Épouse c'est la raison qu'elle assigne à cette ascèse qu'elle nous commande. L'ascèse n'est pas d'elle-même, pas plus qu'elle n'est pour elle-même. C'est un pur moyen, et voici où la soudure se fait naturellement entre l'ascèse et la contemplation : UT CUM DIES ABCESSERIT, NOCENQUE SORS REDUXIT, MUNDI PER ABSTINENTIAM ; IPSI CANAMUS GLORIAM ! L'ascèse et la pureté qu'elle engendre sont des conditions de louange. Maintenir notre regard parfaitement pur afin qu'elle s'emplisse jusqu'au fond de la Lumière divine – sauver notre cœur des vanités afin  qu'il sache se perdre dans le Bien sans limites. - LUMEN INCIRCONSCRIPTUM, comment notre œil sera-t-il jamais assez limpide pour laisser passer cette clarté du Verbe ?

Aussi bien dans cette heure de l'Office qui a pour but de nous préparer à cette dure collaboration sans compromission avec la matière que doit être le travail, le Visage de la Beauté de DIEU n'est-il pas absent et le capitule nous le rappelle-t-il immédiatement, du moins les jours de fête et les Dimanches : Au Roi des siècles, immortel et invisible, au seul DIEU Honneur et Gloire dans les siècles ! - cette Royauté en présence de laquelle nous prosternait l'Invitatoire de Matines, c'est en Elle encore que nous allons nous livrer à tous ces travaux onéreux ou assujettissants, c'est pour Sa Gloire. Et tout à l'heure dans cette partie de l'office qui est proprement l'antique prière pour le travail, ne découvrirons-nous pas cet appel à la communion avec la Beauté éternelle : SIT SPLENDOR DNI DEI NOSTRI SUPER NOS ! C'est la Beauté éternelle qui meut et anime nos besognes les plus banales ou les plus repoussantes. Il n'y a pas de degrés de noblesse pour les actes dans l'ordre de la Grâce.

6) Quant à la lecture du Martyrologe, on voit assez avec quelle liberté et quelle justesse elle vient s'insérer dans cette prière qui veut consacrer l'activité du jour. Nous sommes d'une race qui a donné au monde plus qu'aucune nation des héros. Les héros de la race du Christ ce sont les Saints ; ce sont surtout et magnifiquement les Martyrs dans leur double prérogative de cohéritiers de la Croix et témoins de la Résurrection. On se souvient de la parole de St Augustin : QUOD ISTI ET ISTAE, CUR NON EGO ? Ce que ceux-ci et celles-ci ont fait, pourquoi moi ne le ferai-je pas ? Nous sommes du même Sang, le Sang royal et sacerdotal du Christ, le Sang de la Vierge devenu le Sang du Pontife. La lecture du Martyrologe est le grand tonique, si l'on ose parler ainsi de chaque départ avant l'étape quotidienne. Voici donc tant d'hommes, tant de femmes qui, non par leurs dons et leur volonté naturelle, mais par la Grâce de DIEU et par les mérites du Sang du Christ, le même Sang, la même Grâce que nous participons à l'autel, aux prises avec la même matière, le même monde, les mêmes concupiscences, le même Adversaire que nous, ont mérité de suivre leur vocation de membres du Christ jusqu'au terme ? Pourquoi pas nous ? - Le Christ assis à la droite du Père que nous venons d'invoquer dans le repons bref, et qui ce matin nous regarde, ce n'est pas moins qu'Il nous demande, c'est à cela même qu'Il nous appelle.

7) Ces deux éléments primordiaux : pureté, volonté de non compromission avec le mal – éducation et promotion de la vertu de force, comment se rejoignent-ils ? En quoi ont-ils leur source commune ? Dans la charité fraternelle. Rien ne nous le fait mieux comprendre que la leçon brève de l'ordinaire per annus : DEUS AUTEM DIRIGAT CORDA ET CORPORA NOSTRA IN CARITATE DEI ET PATIENTIA XTI ! Charité et Patience, c'est le même qui règle notre attitude à l'égard de nos frères : tout accueillir comme très cher de ce qui en eux apparaît divin – supporter sans colère et sans ressentiment tout ce qui venant d'eux ne paraît pas avoir sa source dans le Christ. Or c'est cette culture en nous de la Vertu d'accueil au Christ sous tous ses visages qui développe la vertu de force, celle qui fait les martyrs ; c'est la patience qui se refuse à corriger le mal par le mal, qui nous apprend à nous garer quotidiennement du Malin. Nous aboutissons à la parole, toujours plus profonde quand on l'examine, de St Jean : Celui qui dit qu'il aime DIEU et qui n'aime pas son frère est un menteur.

8) Il n'est sans doute pas de mot qui revienne plus souvent dans l'Office de Prime que le mot de Salut : SALVA ! C'est en particulier le vœu propre et formel de chacune des quatre oraisons. Par là nous pouvons considérer cette heure comme une requête solennelle à DIEU de nous aider dans l'Affaire du Salut. Et cette préoccupation certes n'est pas absente de l'heure de Complies, mais elle y revêt une tout autre forme. L'Église au soir s'appesantit peu sur ce qui s'est passé dans la journée ; l'examen de conscience assurément n'est pas absent de ses préoccupations et de sa spiritualité ; encore est-il qu'il y tient beaucoup moins de place que dans plusieurs autres écoles de prière, écoles privées qui ont à leur origine des Saints, mais plus particularistes en vertu et de leur origine et de leur destination. Le CONFITEOR même qui ouvre Complies porte davantage sur le présent et sur l'avenir que sur le passé : solennelle mise en présence du pécheur et de l'Assemblée des Saints. Il s'agit d'obtenir le pardon et de s'y assurer. Le pécheur pénitent est supposé loyal avec lui-même. Pas d'infinies recherches sur la sincérité. La devise de l'Église est toujours celle de St Paul : AD EA QUAE PRIORA SUNT EXTENDENS MEIPEUM. Elle est tendue en avant, disant avec St Jean dans l'Apocalypse : VENI DNE IESU !

NOCTEM QUIETAM ET FINEM PERFECTUM – tel est le vœu de l'Église à la nuit tombée. Le repos de la nuit, le repos pour toujours. C'est que, pas plus qu'elle ne fait de calcul pour le passé, l'Église n'en fait pour l'avenir. Ce jour lui suffit, et cette nuit même ce sera peut-être fini. De quoi a-t-elle à se préoccuper ce soir ? Pas de demain assurément, de la nuit qui commence, qui verra passer bien des âmes, qui sera peut-être (qui sait ? Ne vient-Il pas comme un voleur ? ) la dernière des nuits et la fin des temps. Aussi la façon dont la nuit et l'ombre sont envisagées dans l'heure de Complies est-elle tout à fait différente de celle dont l'envisageait l'Office de Matines. Là il s'agissait, au sein de cette ombre d'entrer en contact avec une lumière près de laquelle toute lumière créée n'était vraiment qu'obscurité, au sein de ce silence de percevoir une parole toute divine, le Verbe, au sein de cette solitude d'entrer en rapport avec la société des Trois Personnes. - Ici la nuit c'est le repos, le repos pour un jour, le repos dernier. PAX ! Nous n'aurons fait ici bas qu'entrevoir ce que c'était. La Paix nous convie où nous aurons à tomber un jour : le sein de DIEU, ou encore comme cette grande aile d'un corbeau nocturne qui recèle au chaud ses petits.

Aussi l'heure de Complies est-elle, dans l'Office bénédictin surtout, la plus imperturbable des heures. Parvenus à ce point qui est un terme, et qui peut-être le terme définitif, ce sont toujours les mêmes choses que nous avons à dire à DIEU, et que DIEU doit nous faire entendre. Un seul mot de notre côté : la confiance avec tous les gages qu'elle comporte, un seul du côté de DIEU : la tendresse avec toutes les précautions qui l'enveloppent. Dans cette nuit soustraite à la loi du travail, soustraite à la société des hommes, n'avons-nous toutefois aucun rapport à engager ? Pouvons-nous nous laisser comme des masses aux exigences de la nature et de la fatigue ? L'Église nous répond : Prenez garde ! L'adversaire rôde autour de vous.

9) De toutes les heures de l'Office Complies est la seule où il soit fait explicitement mention du démon et de ses œuvres, mais avec quelle abondance, quelle insistance : l'Adversaire, HOSTIS réplique-t-il. L'hymne, INIMICUS, insiste l'oraison ; et il faudrait citer tout ce psaume 97, QUI HABITAT ADJURIO MALTISSIMI, qui n'est que le témoignage de l'Assurance contre le Malin d'un homme gardé par DIEU. La Sagesse de l'Épouse sait en effet que cette heure convient mieux qu'aucune autre au Prince de ce Monde qui est aussi le Prince du Mensonge et le Prince des Ténèbres. Pendant le jour il agît davantage par des causes intermédiaires. Il se sert invisiblement des hommes les uns contre les autres, il utilise les suggestions des sens assourdis par l'éclat ou le fracas contre l'âme souvent engourdie par l'habitude. Mais voici la

totale de l'enfant, qui pour lui devait avoir son terme dans le gibet de la montagne, mais par-delà dans la Résurrection et dans la droite de DIEU.

C'est cette attitude de totale remise entre des mains paternelles et souveraines que les Anges, par le don de la Paix tâchent à cette heure de réaliser en nous pour autant que nous leur laissons libre notre cœur et notre esprit. C'est cela encore qui est exprimé par les paroles de David que reprit le Christ au Calvaire et dont l'Office Romain a fait le repons bref de Complies : IN MANUAS TUAS DNE COMMENDO SPIRITUM MEUM. Être fils cela couvre tout l'espace qu'il y a entre l'esprit de louange qui anime les heures majeures de l'Office et la confiance absolue qui donne leur ton propre aux petites heures. Aussi bien devons-nous toujours, comme nous l'avons déjà remarqué, chercher en cette idée de filiation la véritable unité de l'Office et de toute la Piété de l'Église dont le seul rôle sur la terre est de nous configurer à Celui qui étant le Fils Unique, a bien voulu dans l'effusion de Sa Charité devenir le Premier Né d'une multitude de frères. DIEU A TANT AIMÉ LE MONDE QU'IL LUI A DONNÉ SON FILS UNIQUE.