Trois livres sur le Christ

1938 ?

 

Un hasard nous a fait tomber entre les mains trois livres sur le Christ. Trois livres qui se prolongent et se complètent, et en restituent le visage, tels ces trois portails de Chartres que nous admirions naguère. Vous vous rappelez ces porches ? L'attente où l'âme d'un sculpteur douloureux demeure enclose, aussi pathétique que Michel-Ange. Le Portail royal où vit le Christ, le Portail sud où son Église le continue. Les trois livres que nous lûmes se répondent, comme aux façades de Chartres les prophètes, les rois de Juda et les saints. Solitude du Christ4 de René Schwob, Vie de Jésus5 de François Mauriac, et Le Poème de la Sainte Liturgie6 de L'Abbé Zundel. Livres divers, mais qui tous trois nous sont des témoignages sur notre Christ, - trois âmes se sont efforcées de l'atteindre, mais il est des réalités si vastes qu'aucun homme ne les épuise : tel notre Christ. Trois témoignages, trois angles de son visage, en attendant qu'un soleil impérissable nous révèle à jamais sa Face.

Vie de Jésus ! Nous avons compris ce livre comme un témoignage sur le Christ, sa vie ? Non. Certes Mauriac épouse la chronologie. Mais c'est par là que son livre souvent nous parut un peu déficient ! Il médite à toute force, là même où sa voix intérieure ne lui parle peut-être pas. Mais le Verbe incarné, chaque page mieux évoqué. L'intelligence pieusement appliquée au texte, comme un voile de Véronique, - et le Visage demeure. Mauriac apparaît hanté par l'exigence du Christ, cet Homme volontaire de toute la volonté d'un Dieu. Elle est dure la pierre d'angle où l'on peut se briser le front. On tremble un peu en feuilletant ces pages. Quel Christ n'avons nous pas bâti avec nos petites lâchetés ? Nous lui avons composé une nature humaine pour notre fadeur. Mauriac a balayé cette illusion, et le voici le maître entier auquel nous devons nous conformer ou mourir. C'est je crois le grand message que nous apporte Mauriac.

Venez à moi vous tous qui êtes surchargés et peinez, et je vous soulagerai – Vous tous – Mais ne sommes- nous pas tous accolés, en est-il un seul parmi nous que la vie n'ait labouré et pétri. Il n'est pas d'heureux, si nous ouvrons tous les cœurs, nous y verrions toujours enclose la douleur. Il n'est que des peines que nous ne connaissons pas, mais chaque cœur en est gorgé. Quel homme quand une main s'appuie sur son épaule ne se sent pas d'éclater en larmes, en est-il un seul qui d'instinct ne cherche la place où poser son front comme Jean. Accolés ? En est-il un seul de nous que n'accable son indigence ? Et le plus pauvre, n'est-il pas cet avide qui jamais ne se sentira satisfait, cet avare ne connait-il pas l'extrême indigence, lui à qui tout l'or du monde manque ? Pauvres hommes épris toujours de mille idoles moqueuses ! En est-il un seul que le Christ puisse excepter de sa pitié ?...

Des foules le suivent... Que valent-elles ? Mais sur toutes il laisse tomber sa miséricorde. Il est là, il demeure cloué – il a tout prévu – tout tu – nos reniements - « Avant que le coq chante tu me renieras trois fois ... ». Il sait que nos élans d'amour ne l'abritent point des trahisons. Nous avons pêché, il nous a déjà relevé. En donnant à Pierre cet avis il nous a assigné notre place même dans sa Passion. Nous y étions pour le renier. Mais quelle pitié dans ce regard que nous en fondions en larmes...

Bonté immense d'une religion qui a prévu que nous tombions. Bonté d'un maître qui nous le dit et qui souffre cette trahison dans celui qui l'a plus aimé, pour que nous puissions endurer de l'avoir trahi et que chaque pêcheur se reconnaisse en Pierre quand le coq a chanté trois fois.

Ce tourment de n'avoir pas su prendre une âme, il fallait qu'il l'éprouve aussi. Il fallait qu'il les sente en lui toutes ces infidélités des siens pour quoi les Judas ne peuvent être sauvés. Comme il dut la sentir, notre ingratitude ces jours où elle l'empêchait d'atteindre même un de ses apôtres. Lui qui avait tout donné, mais il reste ce que nous gardons aucun ne se ???ont-ils sur la croix pour que s'achève (?) une offrande et que le monde entier, sans qu'aucun n'y manque ??? au Père.

 


4 Desclée de Brower

5 Flammarion

6 Desclée de Brower