Brève histoire de l'ancienne littérature chrétienne

1962

 

Rien n'est plus difficile qu'écrire un livre de vulgarisation qui ne soit pas vulgaire. La véritable vulgarisation est un art. Elle requiert une connaissance exceptionnelle du sujet traité, en même temps qu'un don d'exposition pour le rendre accessible. Cette connaissance et ce don, Jules Cheruel en fait preuve dans sa Brève Histoire de l'Ancienne Littérature Chrétienne8. Je ne cacherai pas la crainte que j'éprouvais en ouvrant ce petit livre. La patrologie en cent soixante pages ! Je redoutais de tomber sur un catalogue. Je m'effrayais à l'idée d'une morose nomenclature.

Or, à tous les pièges de la vulgarisation, Jules Cheruel a su échapper. Dans cette littérature fourmillante des premiers siècles chrétiens, il a su discerner et retracer les lignes de force. Il relate moins les œuvres que les mouvements d'une pensée collective. Certes, il situe les œuvres et les analyse, mais en recherche les convergences dans l'immense effort de réflexion du Christianisme naissant sur soi-même.

Et ce petit livre est passionnant comme un roman de l'esprit, comme une aventure. Mais c'est une aventure que nous vivons, car cette littérature – avouons-le, trop mal connue de nous tous – pour être ancienne n'est pas morte. La pensée chrétienne la plus contemporaine s'y abreuve. Que dis-je !  La remontée vers ces sources, après quelques deux siècles d'ignorance et de sentimentalisme pieux, aura été une des marques de notre temps et une de ses noblesses. Nous sommes, dans un Christianisme qui ignore le temps, plus que jamais les contemporains des Augustin et des Origène. Leur pensée n'est pas une relique à vénérer dans une châsse, mais un aliment toujours frais et toujours vivant. Certes, un livre comme celui de l'Abbé Cheruel ne nous dispense pas de recourir aux œuvres elles-mêmes ; mais il nous y invite en même temps que dans cette abondante floraison il nous guide. Tel est d'ailleurs le vœu de son auteur.

Peut-être, Jules Cheruel, a-t-il craint de paraphraser Bremond en n'intitulant pas son livre « Histoire littéraire du sentiment religieux pendant les dix premiers siècles du Christianisme ». Peut-être a-t-il redouté un parallèle avec le magicien Bremond ? Son petit livre n'est pourtant pas indigne de la comparaison qu'un tel titre aurait provoquée. Plus âpre et plus passionné peut-être, moins indulgent, on sent pourtant le même fond des intelligences et des âmes.

On peut regretter que les dimensions imposées par une collection n'aient pas permis à l'auteur de nous livrer une revue de la patrologie orientale aussi approfondie que celle qu'il nous donne de la patrologie latine et surtout de la littérature grecque contemporaine à l’œuvre des Pères.  Mais ce livre est déjà si riche qu'on hésite à formuler ce reproche. D'autant qu'on se laisse porter par lui. On s'y abandonne d'autant plus facilement qu'il est plein d'aperçus qui éclairent jusqu'à la naissance de notre littérature profane. On acquiert ainsi des compagnons. Un Ambroise de Milan ou un Grégoire de Tours, après cette lecture, ne sont plus des noms, mais des personnes aux traits de caractère définis de manière d'autant plus saisissante qu'elle est plus brève : je dirai qu'ils me sont à présent des amis, avec leurs traits, leurs probités et leurs défauts. Que demander de plus à un  livre ?

 


8 Arthème Fayard, Collection « Je sais. Je crois ».