Pluie sur la montagne

Sans date

 

Il pleut …

Je ne sais quel préjugé veut que la montagne ne soit belle que par le soleil et sous l'immuable azur d'un ciel sans rides. Je l'aime, au contraire, quand de partout l'assaillent les nuages. Ils se ruent en une chevauchée wagnérienne. La lutte se déchaîne autour de je ne sais quel Prométhée. Ce matin, dans l'opaque brouillard, le sapin, devant le chalet, composait à lui seul tout un paysage. À présent les nuées se sont déchirées, et perce le roc entre leurs lambeaux. Pour un instant le pic triomphe. Il surgit seul sur la marée déferlante des cumulus.

Plus violente que flux d'équinoxe, cette lutte. Oui, plus ardentes que l'assaut des vagues sur les falaises les nuées se rebellent au fond des gorges. La terre fume d'une fureur comme sacrée. Éclate une théophanie d'apocalypse.

Parfois, pourtant, le paysage s'adoucit. Vers l'horizon s'étire entre deux pans de montagne une plage bleue semée d'or. À chaque moment la vue varie. La vallée rit une seconde sous un mystérieux rayon de soleil, on ne devine d'où venu. L'Arve entre les prairies étend une trainée d'argent. Dans cette paix soudain retrouvée sourd des herbages, où l'eau s'insinue qui goutte à goutte tombe des sapins, un murmure aussi uni que le silence. Mais reviennent par chaque gorge des brouillards en épais rubans. Une minute, et la vallée en est submergée : elle a disparu. L'Eschyléenne tragédie des nuages et des cimes (je songe à Delphes la pathétique) a repris d'une violence encore accrue.

Il pleut, et quelque chose monte en moi – en moi tout seul au milieu de ces éléments en bataille - ; un quelque chose venu du fond des âges et que m'ont transmis avec leur sang les hommes des cavernes, qui saisi de ce mystère ont gravi les monts pour y adorer ; un quelque chose qui tressaille dans mon âme, comme l'enfant au sein de la femme : le mouvement de la prière.