Pondichéry capitale d'un France tropicale

II Une sous-préfecture sous les orages du Tropique

Les Établissements français de l'Inde n'ont pas une véritable vie économique. Peut-on appeler vie économique, à Pondichéry, ces trois usines de textile et ces deux huileries (toutes deux fermées aujourd’hui) ? Loin des routes de navigation, le port n'aura jamais une réelle activité. Un port ? Peut-on qualifier ainsi le « pear » léger comme un « mécano » d'enfant qui s'avance dans la mer au-delà de la barre ? La moindre opération de déchargement suppose les plus difficiles manœuvres.

Ce bazar de Pondichéry, il est une vraie joie pour l’œil. J'aime surtout m'y rendre à la tombée de la nuit. Dans la pénombre, seuls luisent les vêtements blancs des Indiens, ondoyants fantômes. De part et d'autre de la rue, s'alignent les échoppes. Les piles de saris soyeux multicolores alternent avec les pyramides de fleurs effeuillées. Dans la boutique suivante, à la lueur d'une lampe à huile, les bijoux du joaillier brillent comme au fond d'une caverne d'Ali Baba. Entre ces rives d'échoppes, une foule étrangement silencieuse s'écoule, coupée par une charrette étroite que traîne une vache aux cornes boulées de cuivre ou par le pousse d'une métis drapée comme un Tanagra. Presque jamais une auto : Pondichéry en compte si peu.

Le bazar est une promenade traditionnelle pour le soir. J'y vais presque quotidiennement avant de monter prendre un whisky chez un ami dont la terrasse domine la mer. Chez celui-ci, on bavarde ; mais comment ne pas regarder le croissant de lune absolument horizontal et qui ressemble tant à la barque d'ivoire des impératrices égyptiennes au musée du Caire ? Les étoiles, intensément lumineuses, luisent sur un ciel dont la lune n'a pas atténué la profondeur sombre. Et, tout au long du rivage, leur répond, comme une galaxie inversée, la barre soudainement phosphorescente.

Potins du village

On bavarde. Ah ! ces potins de petites villes ! Et qu'on est chez nous ! Je me crois dans cette sous-préfecture où j'allais parfois l'été en vacances. En vain les cocotiers, qu'un éclair subit illumine, me rappellent-ils l'exotisme de ce pays. On potine. Sans méchanceté, mais un peu par désœuvrement, on dissèque la vie du voisin. Je ne voudrais froisser personne, mais dans ces pays clos, la vie politique prend toujours un petit accent de Clochemerle – et, cela encore, c'est bien français.

La brusque nuit tropicale a comme vidée Pondichéry. Même à l'extrémité de la ville, le village des pêcheurs, dernier couché, s'est endormi au pied de son église baroque. Les souples barques de bois cousues ont été remontées au pied de la grève par ces hommes nus dont l'agilité à franchir la barre est une surprise chaque jour renouvelée. À cette heure, Pondichéry réserve un autre bonheur : plonger en jeep à travers l'épais tissu de la nuit. Course folle. Sur le banc arrière, mon boy rit de plaisir et si opaque est l'ombre que je ne vois plus de lui que la double rangée de ses dents.

Chaque soir en cette saison des pluies, monte l'orage. Un déchaînement d'éclairs teinte la ville d'une lumière bleue presque continue. Les palmiers se tordent, puis, l'énorme pluie venue, s'immobilisent comme encastrés dans cette nappe de liquide. Il pleut avec une densité de fleuve. Comment ne pas évoquer l'hymne védique ?

« Adresse-toi par ce chant au puissant Parjanya ; célèbre-le par ton hommage ! Le taureau mugissant aux effluves vivaces dépose sa semence dans les plantes, comme un germe...

« Les vents soufflent, les éclairs volent, les plantes s'entr'ouvrent, le soleil gonfle. La sève surgit pour toute la nature quand Parjanya féconde la terre par sa semence. »