L'Inde et le communisme

Impotence économique

Force économique d'abord. Pour la posséder sont nécessaires ressources énergétiques et minéralogiques. À ces points de vue la péninsule indienne est assez mal connue. Les géographes sont en désaccord. Notons pourtant que les ressources certaines sont assez rares : dans le Sud, du minerai de fer de bonne qualité mais peu abondant ; quelques gisements de charbon ; voilà presque tout.

Surtout manque à l'Inde la mère des industries : la sidérurgie. Son industrie sidérurgique est le huitième de celle de la France pour une population six fois plus nombreuse. La Grande-Bretagne qui a « exploité ce pays jusqu'à l'os » et y  appliqua avec une obstination presque sauvage le « pacte colonial » en est partiellement la responsable. La seule industrie vraiment importante est le textile. Hélas ! la « partition » du subcontinent entre l'Inde et le Pakistan a donné à ce dernier les matières premières, tandis que l'Inde héritait des usines. Les rapports entre les successeurs de l'Empire victorien étant pénibles, pèsent sur l'industrie textile indienne une constante menace et un fréquent chômage.

D'ailleurs le développement de l'industrie supposerait des débouchés. Malgré ses millions d'habitants l'Inde n'a pas de débouchés intérieurs : sa population est trop misérable. Elle n'a pas non plus de débouchés extérieurs ; malgré des salaires de famine ses prix de revient sont trop élevés. Dans une entreprise indienne le poste matières premières est 60% plus élevé qu'en Europe, et le poste main-d’œuvre 30 à 50% (avec des hommes payés au maximum une roupie c'est-à-dire soixante-dix francs par jour). En outre l'Inde est victime d'une mauvaise situation géographique. Point de ports naturels, sinon Bombay qui ne se trouve pas sur une grande route maritime.

Enfin les commerçants indiens sont un peu trop imaginatifs. Ici on se délecte de projets, d'études, de devis. On les perfectionne, on en disserte, on les discute. On y dépense des millions... on y fait surtout dépenser des millions aux entreprises européennes assez imprudentes pour croire au mirage indien.

Et pourtant, on trouve en Union indienne de solides affaires fort bien gérées. Cette compagnie d'aviation, Air India sur laquelle j'ai effectué mes principaux déplacements est excellente ; l'exactitude de ses petits avions blancs et rouges est absolue. Seulement (on croirait une sorte de fable) Air India appartient à un membre bien connu de la minorité parsi de Bombay, M. Tata. Et le pilote ? Ce turban étroitement serré et cette barbe en éventail, tels les hindous des images d'Épinal : le pilote appartient à une autre minorité : c'est un Sikh. L’hôtesse de l'air est délicieuse. Elle sort tout droit d'un magazine d'Hollywood : longues jambes, chevaux blonds, yeux bleus et la poitrine un peu trop haute. Elle appartient à une minorité, elle aussi, la plus méprisée de toutes : c'est une Anglo-indienne.

L'Inde ne vivrait-elle pas sur les minorités qu'ingénument elle persécute ? Le petit avion, rouge et blanc s'envole. L'Anglo-indienne plus star que jamais m'apporte des magazines. Le Sikh barbu vient voir ses passagers. Elle est vraiment excellente, la ligne du parsi M. Tata.

Mais objectera-t-on, l'Union indienne est surtout agricole. 80% de sa population vit de la terre. Hélas ! le tableau s'assombrit encore. Tristes étendues du Decan que j'ai lentement parcourues, avec leurs pauvres champs de mil. Et ces villages faméliques, si misérables que nul n'y sourit. J'évoquais les paysans d'Afrique, qu'un simple regard fait éclater de rire. Ici, un peuple sans épaules et sans hanches ose à peine nous regarder.

Vieille terre jamais engraissée que le paysan écorche à peine. Jamais engraissée... le troupeau considérable des Indes ne sert qu'à ravager les maigres champs. Les bouses sont soigneusement séchées en galettes comme combustibles. Bien entendu, point n'est question d'engrais chimiques. Peut-on même faire autre chose que gratter la terre avec d'archaïques araires ? Les sols tropicaux sont si fragiles, soumis à des facteurs d'érosion si violents que toute mécanisation de la culture risque de les détruire à jamais.

Et obstinément le paysan gratte la terre : l'usurier et le propriétaire sont là qui lui arrachent son maigre bénéfice. La situation de l'Inde est exactement celle de la Chine du Kuomintang : une réforme agraire s'impose, que le parti au pouvoir se refuse à effectuer. Là encore, on échafaude des plans, on prépare des projets, on élabore des textes ; la propriété reste la même, l'agriculture demeure archaïque.

Tchang Kaï-Tcheck en a perdu son empire...