L'Inde et le communisme

Sur champ de misère

Il a perdu son empire faute d'avoir su remédier à un état social, le même exactement que nous trouvons aux Indes.

Rues de Bombay, rue de Madras... La misère ici n'a même pas de toit. Des privilégiés couchent à trente par pièce dans certains immeubles. La masse couche à même les trottoirs. Pour rentrer à mon hôtel j'enjambe ces paquets de haillons d'où sort un bras ou une jambe squelettiques. Et plus nombreux encore que les hommes, grouillent les rats.

Et Lazare est toujours devant la porte du Mauvais Riche. Des palais d'un goût douteux, mais opulents, bordent les trottoirs de la faim. Sur la chaussée roulent des automobiles américaines de toutes les couleurs de l'argent vite gagné : rouge vif, vert aigu, opéra ou tango. La richesse s'étale avec obscénité.

Je ne parle même pas des Maharajahs, ces souverains parvenus aux dynasties vieilles d'un siècle, mais de cette aristocratie des BOF qu'a libérée le départ des Anglais. L'un d'eux m'a invité. Sa maison, dans un parc embaumé de jasmin, dominait la ville et la mer. Malheureusement je dus quitter cette vue et ce parc pour « admirer » l'intérieur de mon hôte. Des coussins hurlants, un bric à brac étrange de rocaille surdorée et d'Empire tout en bronze, mais surtout, peintes à la fresque, des théories de femmes nues, des grappes de chair humaines...

Dehors, l'interminable armée des meurt-la-faim. Et ensuite je retrouverai le luxe de mon hôtel où j'ai fait scandale en n'acceptant pas un valet de chambre particulier. Mais sous ma fenêtre dormiront les libres citoyens indiens, à même la terre, mêlés aux rats...

Le système des castes accentue cette misère. Il lui donne un caractère inexorable. Soixante pour cent des Indiens – les intouchables – nait pour la faim. Sans doute Gandhi et quelques « gourous » se sont apitoyés – modérément – sur le sort des intouchables. On leur a, parait-il, ouvert les temples. Ils ne s'y risquent pas (peut-être préféreraient-ils avoir accès aux puits du village, et que, pour eux, la saison sèche ne soit pas le supplice de la soif ?). D'ailleurs que signifie cette pancarte à la porte du temple de Çrirangam : « Nul ne peut entrer ici qu'avec son insigne de caste. » Dimanche j'irai à la messe. Les castés seront sur des bancs, les intouchables assis par terre. Encore heureux qu'on n’ait pas divisé l'église en deux par un mur. Ainsi fit-on naguère. L'évêque ordonna d'abattre le mur. Les fidèles ont cessé de fréquenter ce sanctuaire.

Soixante pour cent de misérables parmi les misérables : c'est beaucoup pour un pays aux rives de l'océan communiste.