L'Inde et le communisme

Les Anglais sont vraiment partis

Impuissance économique, impotence politique, déplorable état social ; voilà bien des fourriers pour le communisme. Les Indiens se rassurent en disant, les mains croisées sur leur ventre grassouillet et les yeux levés au plafond : « Nous serons sauvés par notre spiritualité. » En Europe on prend un air mystérieux pour dire : « Ce n'est pas grave : les Anglais sont là. Ils ont paru quitter l'Inde tout en y restant. »

Double illusion ! De ces affirmations, laquelle est la plus fallacieuse ? Les Anglais sont complètement partis de l'Inde. Ils n'y ont même laissé d'autres traces que le jeu de crickett et la mauvaise cuisine des hôtels. Officiellement les milieux gouvernementaux les honnissent. Pérorer contre eux est une tâche essentielle des politiciens, et pour bien souligner leur départ on a repeint en vert les tramways jadis rouge vif comme à Londres. Peut-être les politiciens sont-ils sincères en se félicitant de la « libération ». Ils y ont gagné leur place – une place qu'ils savent rendre fructueuse. La bourgeoisie, elle, est plutôt déçue. Elle reprochait aux Anglais  de ne pas l'admettre dans leurs clubs : l'empire victorien a disparu, mais les clubs anglais qui subsistent sont toujours fermés aux « natives ». Quant au petit peuple, il n'est que regrets. « Ah ! si vous aviez vu comme c'était mieux au temps des Anglais », me disait un chauffeur de taxi. « Au temps des Anglais on pouvait vivre », me répète mon coiffeur chaque fois que je vais chez lui. Les journaux mêmes, sous leurs très officielles déclamations nationalistes, laissent percer cette nostalgie.

Les Anglais ont sacrifié les Indes à la Livre. Ce pays n'avait pas d'avenir économique, les investissements n'étaient pas rentables. La Cité a préféré qu'on reporte l'effort vers l'Afrique orientale, au surplus beaucoup moins vulnérable que le subcontinent. Les Anglais pouvaient rester s'ils l'avaient voulu. Ils ont une autre politique : ainsi ont-ils creusé un grand vide au sud de l'Asie, provoqué, et, oserais-je dire, inventé une défaite de l'Europe. Ils ont certainement commis une faute et, très probablement, un crime.

En ont-ils conscience les Holicott vieillis que je rencontre dans les hôtels de montagne ? Dans ces bungalows discrets et luxueux ils se restituent à eux-mêmes l'Angleterre : ils en recréent l'atmosphère (oh ! la fausse cheminée avec sa grille de faux charbon !). Ces fantômes s'habillent le soir – smokings coupe 1930, robes longues d'âge indéfinissable. Ils se jouent à eux-mêmes la comédie de l'Angleterre victorienne (rule Britannia, rule the wawes) plus profondément défunte d'être ainsi momifiée.