L'Inde et le communisme

Trop de siècles et trop de dieux

L'Inde gît accablée sous trop de siècles et trop de dieux... Vieux pays, trop vieux déjà voici deux cents ans pour résister à la colonisation européenne. Les soldats de Bussy n'étaient pas mieux armés que ses nababs et ses rajahs. Avant de quitter les Indes, je me suis rendu, comme en pèlerinage, à Gingy, l'imprenable forteresse du Soubab que Bussy enleva d'un assaut avec quatre-vingts compagnons. Murailles crénelées, chaos de rocs, sentiers à gradins compliqués de chicanes : rien n'a défendu la garnison. Elle est tombée comme d'elle-même. Nous voici tout en haut de la colline-citadelle. Un immense paysage d'érosion nous entoure, un des plus vieux paysages du monde. Des millénaires de vent, de pluies tropicales, de soleil, l'ont dévoré, lavé, calciné. Terre si décharnée que le squelette rocheux la perce de toutes parts.

Ancienneté de civilisation, de pensée. Quand nos ancêtres vivaient dans les cavernes, l'Inde avait produit ses plus beaux poèmes : les Veda. Elle avait inventé déjà ses dieux multiformes. Et déjà elle croyait en cette foi désespérante et désespérée des résurrections successives et des éternelles survies : l'homme enchaîné à la nécessité de renaître, comme l'esclave antique à la roue de son moulin.

Qu'ils pèsent sur l'Inde, ces siècles et ces dieux ! Plus encore que la misère, que la faim, que l'impéritie gouvernementale. L'Inde, aux flancs de l'Asie en transes, fruit trop mûr.