Pondichéry, terre française
23/1/1953
« Quoi, conserver les comptoirs de l'Inde ! On est assez fou pour y penser ? »
Le petit sénateur, en prononçant ces mots essaya d'étouffer de rire, d'un rire si possible contagieux.
Personne ne broncha. Pendant quelques instants la conversation en fut suspendue. Dans le Grand salon du Haut-Commissaire, on n'entendait que l'énorme pluie tropicale, grondante comme une cataracte.
Le hasard m'avait réuni à Brazzaville avec ce sénateur, éphémère ministre d'un gouvernement déjà ancien et qui clamait d'autant plus haut son rire qu'il y avait eu moins longtemps droit. Depuis une heure, il nous donnait des leçons de « réalisme politique » (ainsi avait-il baptisé son manque congénital d'imagination créatrice). Comme ils sonnaient curieusement sous l'équateur, tandis que se déchaînait la Tornade, ces propos de bourgeois provincial. La sagesse courte et péremptoire de notre petit sénateur n'en était pas intimidée.
Et puis :
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« Ils ne nous rapportent rien, ces comptoirs... » reprit-il au bout d'un instant.
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« Ils ne nous coûtent rien, en tous cas, hasardai-je.
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« Ils ne nous rapportent rien, reprit-il, sans même avoir entendu mon interruption. Mieux vaudrait pour nous l'adjudication d'un seul barrage.
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« A condition qu'on nous le paie ».
Mais, à quoi bon discuter. Le petit sénateur et moi ne parlions pas le même langage. Pour apprécier l'intérêt national, nous n'avions pas la même unité de mesure.
Tandis qu'il pérorait, je me laissais peu à peu prendre tout entier par le souvenir des comptoirs...