Pondichéry, terre française

Nous sommes toujours aux Indes

Car ils sont toujours français ces comptoirs, n'en déplaise au petit sénateur, n'en déplaise également à cette revue spécialisée qui parlait naguère de « feu les établissements français de l'Inde ». Les beaux noms chatoyants nos enfants peuvent encore les apprendre : Pondichéry, Yanaon, Karikal, Mahé. Seul Chandernagor n'est plus français ou, pour parler juridiquement, en passe de ne plus l'être. Dans un plébiscite plus ou moins libre, mais dont le Gouvernement français a bien fait d'accepter le résultat, ce Comptoir s'est donné à l'Union Indienne. Pouvait-il en être autrement ? Imaginez que Neuilly soit une enclave britannique en terre française. Ainsi Chandernagor, qu'en 1925 un Gouverneur de l'Inde Française appelait déjà « une ville oubliée », simple faubourg de l'énorme Calcutta. Voilà longtemps qu'à son Conseil Municipal on ne parlait plus qu'anglais. Que survienne un incident, la police de l'Union Indienne nous tenait à sa merci.

Les Anglais sont partis, mais nous sommes toujours aux Indes, vengeance posthume de Dupleix. Notre présence contrarie le Pandit Nehru, mais elle irrite encore plus que lui certains britanniques. Présence menacée toutefois. À Pondichéry, on se sent un peu comme dans un radeau sur la mer,  - une mer parfois déchaînée. Qu'on se souvienne des incidents de Mahé, en Octobre 1948, où des ressortissants Indiens troublèrent des opérations électorales et « kidnappèrent » l'administrateur et sa famille.

Depuis lors, une sorte de petite guerre continue. Les formes varient : du 1er Avril 1949 à Octobre 1950, ce fut l'institution d'un blocus chaque jour plus étroit. Ce fut également la dénonciation unilatérale de Conventions fiscales conclues en 1815 et 1817 : ainsi l'Union Indienne déséquilibre-t-elle brusquement l'équilibre financier des comptoirs. Petite guerre aux proportions d'un conflit dont on doit voir les limites. Notons qu'il ne s'agit aucunement d'un conflit « colonial », ce non seulement pour rassurer les professionnels de la beauté d'âme – et particulièrement M. Claude Bourdet – mais parce que c'est un fait. Les Comptoirs n'ont jamais été une colonie, en ce sens qu'ils n'ont jamais subi aucune forme de Pacte Colonial, non plus que l'implantation de colons. On compterait sur les doigts d'une seule main les vieilles familles créoles, toutes dans le commerce. Ils n'ont jamais été une colonie également, dans ce sens qu'ils ont toujours joui d'une représentation parlementaire. Mais surtout les Établissements sont pratiquement indépendants. Depuis le 12 Août 1947, ils bénéficient d'un Gouvernement autonome dont le Commissaire de la République (nous n'avons plus de Gouverneur) n'est que président. Ce Gouvernement est désigné par l'Assemblée représentative. Les Établissements forment donc – moins le titre – une sorte d'État associé, politiquement aussi indépendant que le Laos ou le Cambodge. Aussi le point n'est pas de savoir s'ils s'émanciperont de la tutelle française – c'est chose faite dans le cadre de l'Union Française8, - mais s'ils seront ou non absorbés par l'Union Indienne.

Par un accord conclu le 29 Juin 1948, France et Union Indienne ont convenu que ce point serait tranché par un référendum. En même temps, comme gage de bonne volonté, la France abandonnait les Loges9. Malheureusement l'Union Indienne s'est dérobée à l'application de cet accord, déclarant froidement qu'elle ne se soumettrait pas au référendum s'il lui était contraire.


8 Et même fait, juridiquement plus curieux, dans le cadre de la République Française. Et on dira que le titre VIII de la Constitution est trop géométrique !

9 Minuscules enclaves disséminées parfois en plein milieu du territoire indien : Surate, Mazulipatam, Caltent, Carsimbazar, Balassore, Dacca et Patna. Que cette énumération ne trouble personne. Ces territoires à eux tous ne représentaient que quelques hectares.