Agonie et mort des Établissements Français dans l'Inde

Une inqualifiable pression

Les conditions aussi dans lesquelles nous avons dû abandonner ces établissements auraient mérité de la part d'un public français une autre réaction. La transmission de facto à l'autorité indienne de l'administration des Établissements français dans l'Inde, matérialisée par le retrait de notre drapeau, représentait l'ultime étape d'un coup de force international ; nous cédions à la pression matérielle de l'Union indienne, exercée depuis sept ans au mépris du droit. Cette pression, il me suffira d'en relater quelques faits pour montrer et son caractère et son immoralité. Pour ne pas me livrer à une fastidieuse répétition, je me bornerai à des événements de 1954. Comme nous le verrons, ils n'étaient guère que la répétition de ceux qui se déroulaient depuis des années dans ces petites villes que nous devions ravitailler par mer, l'Inde ayant fermé ses frontières. Les habitants de Yanaon et de Mahé étaient, d'ailleurs, par suite de ce blocus, privés depuis 1953 de certaines denrées essentielles. Au 1er janvier 1954, l'Union indienne bloque les colis postaux à destination des Établissements : plus de huit mille colis restent en souffrance entre Madras et Bombay. Ce n'est qu'une première mesure. Le 2 janvier, cette puissance met fin aux fournitures d'énergie électrique qu'elle nous dispensait par sa centrale hydro-électrique de Mettur. Comme elle avait interdit d'établir des lignes entre Pondichéry et les communes françaises enclavées, elle prive purement et simplement ces communes de courant. Or celles-ci l'utilisent pour l'irrigation des rizières, seule ressource des habitants. Autant dire que cette coupure, intervenant en pleine période culturale, condamne la population à mourir de faim. À Nettapacom et à Mannadipeth, les récoltes pourrissent sur pied.

L'Inde n'arrête pas là ses pressions. Au mois de janvier, également, elle cesse toute fourniture en hydrocarbure, amenant l'arrêt de la centrale thermique de Pondichéry. En même temps, le passage de produits alimentaires est pratiquement stoppé. Les quatre établissements sont autant de villes assiégées où la population est réduite à la dernière misère.

Tel est le genre d'arguments dont a usé l'Union indienne. Ces exactions étaient d'autant plus immorales qu'elles s'exerçaient sur un petit État pratiquement libre. Dès la IIe République, des institutions démocratiques avaient été introduites dans l'Inde française. Français et autochtones, exerçant des prérogatives égales, élisaient un député, un sénateur, un conseil général et des conseils locaux. La IVe République allait encore accentuer ce mouvement en donnant aux Établissements tous les caractères d'un État associé, moins l’appellation. On voulait en effet éviter de compromettre cette appellation étant donné l'exiguïté des comptoirs et la précarité de leur situation. L'Inde française demeurait représentée dans les institutions métropolitaines (Parlement et Assemblée de l'Union française), mais elle était dotée d'un véritable gouvernement composé de ministres élus par une assemblée représentative. Le commissaire de la République (le représentant du pouvoir central ne portant plus le titre de gouverneur) présidait ce gouvernement sans que sa voix soit même prépondérante.