Agonie et mort des Établissements Français dans l'Inde

La géographie et les vieux traités sont contre nous

Hélas, la valeur morale de la thèse française ne rendait pas les Établissements plus faciles à défendre sur le plan matériel. Remarquons simplement que les dirigeants indiens, friands de spiritualités, se sont compostés comme de purs matérialistes.

On oppose souvent à l'attitude française – qui fut toujours de conciliation pour aboutir à l'abandon – l'intransigeance portugaise. Ce faisant, on compare ce qui n'est pas comparable. Contre nous ont conspiré des servitudes géographiques et historiques que, pour son bonheur, le Portugal n'a pas à subir. Goa, son territoire, est d'un seul tenant. Il dispose d'une aire géographique suffisante. Le Portugal peut l'armer. La situation des Établissements était exactement inverse. Le traité de 1783 nous a laissé 50 800 ha répartis en cinq territoires principaux (Pondichéry, Karikal, Yanaon, Chandernagore et Mahé) et quelques minuscules « loges » (Surate, Mazulipatam, Calicut, Cassimbazar, Balassore, Dacca et Batna). Bien plus, Mahé était divisé en deux et Pondichéry entouré d'une véritable constellations d'enclaves cernées de toutes part par l'Union indienne : autant de gages entre ses mains.

À ces servitudes géographiques se superposaient des servitudes historiques. Comme M. le Président Boisdon l'a dit à la tribune de l'Assemblée de l'Union française le 14 décembre 1954 :

« Lorsqu'en 1814 les Anglais nous ont restitué nos « comptoirs » dans l'Inde, nos bons amis ont pris leurs précautions. Ils ont conservé l'hinterland de quatre territoires. À Pondichéry, ils l'ont découpé en morceaux. Ils nous ont imposé des clauses militaires extraordinaires. Nous avions droit à cent hommes à Pondichéry, cent à Chandernagore, trente à Mahé, trente à Karikal, rien à Yanaon. Encore ces hommes ne devaient-ils pas être français... D'autre part, l'histoire aggrava cette situation. Chandernagore, chacun le sait, devint un faubourg de Calcutta traversé par la route reliant Calcutta à Karachi. Les policiers anglais usaient d'une plaisanterie pleine d'humour britannique, d'un humour discutable, pour caractériser notre situation. Dans cette colonie française, disaient-ils, on ne peut pas mettre une vache en travers sans que, soit la tête, soit la queue passe en territoire britannique. Cette possession, conclut M. Boisdon, n'était évidemment pas facile à conserver. »

D'autant moins facile à conserver que l'opinion métropolitaine ne montrait qu'une absolue indifférence. La France tout entière a réédité le geste de Louis XVI anéantissant les victoires du Bailli de Suffren par l'incompréhensible traité de Versailles (1783). Qui plus est, nous n'avons guère été mus que par le souci de ne causer aux Indiens aucune peine, même légère. Le pandit Nehru, socialiste avec les marxistes, spiritualiste avec les chrétiens recueillit toujours une curieuse popularité chez nous, au bénéfice d'une amitié avec Gandhi dont pourtant, comme M. Lanza del Vasto le montre si bien dans Vinoba ou Le Nouveau Pèlerinage, il a toujours renié les principes. On comptait sur sa bienveillance, sur son amitié, oublieux de l'attitude haineuse montrée en toute occasion par ses représentants à l'ONU. De cette bienveillance et de cette amitié, on a vu l’œuvre.